18 lettres à ma fille / chapitre 18

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Ce texte participe d’un atelier d’écriture en ligne

/ proposé par Arnaud Friedmann.

/ vous pouvez connaître la règle du jeu ici, si vous souhaitez participer et rédiger la lettre des quatre-vingt ans, en adressant votre texte avant dimanche 21 février à 19h.

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Le dernier jour. Quand j’étais gosse, les derniers instants étaient toujours les meilleurs. Aujourd’hui, dernier jour. Béatrice joue. Jouera demain. Prononcera « papa » en regardant sa mère. Apprendra à ne plus utiliser ce mot. A se protéger des larmes dans les yeux de Nathalie.

Le dernier jour. Tout à l’heure, dernière lettre. Ma main tremble. Un vieux qui écrit à une vieille. Un père de trente-trois à sa fille de quatre-vingt.

Madame. Je ne peux pas m’adresser à cette femme de quatre-vingt ans autrement. Madame, quand vous lirez cette lettre, vous aurez deux fois et demi l’âge que j’avais quand je vous ai quittée. C’est presque drôle, mais je ne souris pas. Je serre mes doigts douloureux sur le stylo. Madame. Je ne peux faire autrement que de vous vouvoyer. Je ne connais rien de vous, c’est pourtant vous que j’aurai le plus aimée.

Le dernier jour. Pas la force d’être en révolte. A quoi bon cette existence dépensée ?

Les yeux me brûlent. J’ai hâte que tout soit fini. Je ne tiens plus que pour achever la dernière lettre. La signer, de mon prénom. Pas papa. Les vieilles de quatre-vingt ans n’ont plus de papa depuis longtemps.

Vers quatre heures, les ambulances. La mère de Béatrice.

Dans l’ambulance, je ne me retournerai pas. La nuque me fait trop mal.

Je ne me retournerai pas. A quoi bon se retourner ?
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