Erich Fried / choix de poèmes

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1824

. Traduits de l’allemand par Chantal Tanet et Michael Hohmann

.

Was es ist

.

Es ist Unsinn

sagt die Vernunft

Es ist was es ist

sagt die Liebe

.

Es ist Unglück

sagt die Berechnung

Es ist nichts als Schmerz

sagt die Angst

Es ist aussichtslos

sagt die Einsicht

Es ist was es ist

sagt die Liebe

.

Es ist lächerlich

sagt der Stolz

Es ist leichtsinnig

sagt die Vorsicht

Es ist unmöglich

sagt die Erfahrung

Es ist was es ist

sagt die Liebe

.
.

Ce que c’est

.

C’est du non-sens

dit la raison

C’est ce que c’est

dit l’amour

.

C’est de la malchance

dit le calcul

Ce n’est rien que douleur

dit la peur

C’est sans issue

dit le bon sens

C’est ce que c’est

dit l’amour

.

C’est ridicule

dit l’orgueil

C’est insouciant

dit la prudence

C’est impossible

dit l’expérience

C’est ce que c’est

dit l’amour

.

.Denn

.

Denn

ist das Alpha

und das Omega

.

Denn am Anfang

Denn ich habe Hunger

Denn ich habe Angst

.

Denn ich bin da

Denn ich will leben

Denn ich liebe

.

Denn in der Mitte

fragt

„Wie lange denn noch ?“

.

Denn in der Mitte

fragt :

„Wozu denn das alles ?“

.

Denn am Ende

wird nicht einmal sagen

„So stirb denn“

.

.

Car

.

Car

c’est l’alpha

et l’oméga

.

Car au commencement

Car j’ai faim

Car j’ai peur

.

Car je suis là

Car je veux vivre

Car j’aime

.

Car à mi-chemin

demande

« Encore donc combien de temps ? »

.

Car à mi-chemin

demande

« À quoi bon donc tout ça ? »

.

Car à la fin

ne dira pas même

« Eh bien meurs donc »

.

.

.

Die Letzten werden die Ersten sein

.

Weil die vorigen Dinge noch nicht

genau untersucht sind, wendet

sich der Gewissenhafte

den vorvorigen zu

.

Doch der Gewissenlose

übt schon Kunstgriffe, um die nächsten

und übernächsten Dinge

in den Griff zu bekommen

.

Der Gewissenhafte

hat mittlerweile entdeckt

daß der Schlüssel

zu den vorvorigen Dingen

.

in älteren Dingen liegt

die noch vor diesen Dingen waren

oder noch tiefer in deren

Vorvorbedingungen

.

Der Gewissenlose aber

macht raschere Fortschritte. Deshalb

wird er vielleicht uns alle

und auch den Gewissenhaften

.

schon zu den letzten Dingen

gebracht haben, lange bevor

der Gewissenhafte

die tiefsten Wurzeln des Übels

.

das den Gewissenlosen

gewissenlos werden ließ

zurückverfolgt hat

bis zu den ersten Dingen

.
.

Les derniers seront les premiers

.

Parce que les choses passées ne sont pas encore

précisément examinées,

l’homme de conscience se tourne

vers celles qui les ont précédées

.

Mais l’homme sans conscience

se sert déjà d’artifices

pour se saisir des choses à venir

et des suivantes

.

L’homme de conscience

a entretemps découvert

que la clé d’accès aux choses d’avant

les choses passées

.

se trouve dans des choses

plus anciennes encore

ou plus profondément encore

au sein

de ce qui les a précédées

.

Mais l’homme sans conscience

va beaucoup plus vite

se pourrait-il

qu’il nous conduise tous

.

nous et l’homme de conscience

à la fin des fins, bien avant

que l’homme de conscience

ait remonté

.

jusqu’au commencement

le fil des profondes racines du mal

qui ont fait perdre la conscience

de l’homme sans conscience

.

.
.

Mitmenschen

.

Einer der Leute

die herumtanzen vor meinen Augen

wenn ich sie zumache

um niemand mehr sehen zu müssen

.

hat keinen Kopf

aber oben aus seinem Hals

wächst eine Schmuckkette

mit zwei silbernen Totenköpfen

.

und seine Frau die zu dick ist

sagt zu jedem den er erwürgt :

„Geben Sie ihm doch alles

Was er sich nimmt!

.

Sie sehen ja er ist behindert!“

Dann schneuzt sie sich und muß weinen

weil er ihr jedes Begräbnis

vom Haushaltsgeld abzieht

.

Mich mahnt sie liebevoll :

„Iß doch bevor es kalt wird!“

Aber ich wäre lieber allein

als in solcher Gesellschaft

.

.

Nos semblables

.

L’un de ces hommes

qui défilent devant mes yeux

quand je les ferme

pour ne plus être obligé de voir quiconque

.

n’a pas de tête

mais en haut à son cou

sort un collier

avec deux têtes de mort en argent

.

et sa femme qui est trop grosse

dit à chacun de ceux qu’il étrangle :

« Donnez-lui donc tout

ce qu’il prend !

.

Vous voyez bien qu’il est gêné ! »

Puis elle se mouche et ne peut s’empêcher de pleurer

parce qu’il déduit de l’argent du ménage

chaque enterrement

.

Elle me met en garde aimablement :

« Mange donc avant que ce soit froid ! »

Mais je préférerais  être seul

qu’en pareille compagnie

.

.

Der einzige Ausweg

.

Im aufgeschlagenen Stein

liegt ein Ei

.

Aus dem Ei

fliegt ein Vogel

.

Aus seinem Schnabel

ein Stein

.

Wer den aufbrechen kann

findet drinnen

.

nichts

.

.

L’unique issue

.

Dans une pierre brisée

il y a un œuf

.

De l’œuf

s’envole un oiseau

.

De son bec

tombe une pierre

.

Celui qui pourra l’ouvrir

trouvera à l’intérieur

.

rien

.

.

Mißverständnis zweier Surrealisten

für Katja Hajek

.

„es regnet“

sagte sie

„männer in schwarzen Mänteln

gehen vorbei“

.

sagte sie

Magritte aber

hörte sie

nicht mehr genau

(sie sagte es nämlich erst Jahre

nach seinem Tod)

.

So hörte er nicht mehr

ihre letzten zwei Worte

und verstand nur

„es regnet männer in schwarzen mänteln“

Das malte er

.

.

Malentendu entre deux surréalistes

pour Katja Hajek

.

« il pleut »

disait-elle

« des hommes en manteau noir

passent »

.

disait-elle

Mais Magritte

ne l’entendait

plus très bien

(puisqu’elle ne le dit que des années

après sa mort)

.

Il n’entendit donc pas

le dernier mot

et comprit seulement

« il pleut des hommes en manteau noir »

C’est cela qu’il a peint

.

poèmes extraits du recueil Es ist was es ist (1983)

.

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Erich Fried

Né à Vienne en 1921 de parents juifs, Erich Fried quitte l’Autriche après l’Anschluss en 1938 et s’exile à Londres, collaborant notamment au service allemand de la BBC. Profondément marqué par le spectre du nazisme et la condition juive – son père est mort lors d’un interrogatoire par la Gestapo –  Fried incarne en Allemagne, à partir des années 1950, la figure de l’écrivain engagé, au service d’une conscience politique toujours tenue en éveil (guerre du Vietmam, Israël).

Aux côtés d’écrivains comme Ingeborg Bachmann, Heinrich Böll, Peter Weiss, Martin Walser ou Paul Celan, il a fait partie du Groupe 47, initié par Hans Werner Richter en 1947 dans le but de nettoyer la langue allemande des séquelles du nazisme, en prônant une écriture dépouillée.

L’oeuvre d’Erich Fried porte la marque claire de cette démarche et se caractérise par la dimension ludique du travail d’écriture. Il est l’auteur de quelques romans (Les Enfants et les Fous, Le Soldat et la Fille) mais surtout d’un nombre considérable de recueils de poèmes. Ce sont eux qui lui ont assuré une grande popularité en Allemagne, notamment Cent poèmes sans frontière, lauréat du Prix International des Éditeurs en 1977, et plus encore ses Liebesgedichte (Poèmes d’amour) en 1979. Certains poèmes comme Was es ist (Ce que c’est) sont devenus des « classiques » de la littérature allemande des années 1980. Erich Fried est aussi un grand traducteur de l’anglais, en particulier de Shakespeare, Dylan Thomas, T.S Eliot, Sylvia Plath.

Le prix Georg Büchner lui a été décerné pour l’ensemble de son oeuvre en 1987, un an avant sa mort à Baden-Baden.

Bibliographie en français

Le Soldat et la fille, traduit par Robert Rovoni, Gallimard, 1962 (réédition, 1992).

Les Enfants et les fous, traduit par Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1968.

Cent poèmes sans frontière, traduit par Dagmar et Georges Daillant, Christian Bourgois, 1978.

La Démesure de toutes choses, traduit par Pierre Furlan, Actes Sud, 1984.

Bibliographie sélective en allemand

1944, Deutschland.

1945, Österreich

1960, Ein Soldat und ein Mädchen

1965, Kinder und Narren

1966, und Vietnam und

1967, Anfechtungen

1968, Zeitfragen

1972, Die Freiheit den Mund aufzumachen

1974, Höre, Israel !

1978, 100 Gedichte ohne Vaterland

1979, Liebesgedichte

1981, Zur Zeit und zur Unzeit

1982, Das Unmaß aller Dinge

1983, Es ist was es ist

1985, Von Bis nach Seit

1987, Gegen das Vergessen

1988, Unverwundenes