Joseph Beuys

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Joseph Beuys- le 12 mai 1921/le 23 janvier  1986. Photo.

L’art politique et ses dérivés sociologiques. Chamanisme ultra moderne contemporain. Esprit social et approche anarcho-syndicaliste.

Mythologie individuelle. La politique, l’écologie et le corps de l’artiste comme territoire et substance artistique.

L’œuvre de Joseph Beuys [1], tout au long de la vie de l’artiste, s’est construite comme un labyrinthe chamanique initiatique, véritable projet politique. En lieu et place d’une carrière politique et d’un siège au parlement ou au sénat, Beuys a construit son programme autour de conférences, d’œuvres sculpturales et de performances artistiques de toutes sortes. Celles-ci constituent une catharsis de ce qu’il faut pouvoir faire comprendre au peuple avant de changer le monde social, globalement. Beuys a utilisé une forme de chamanisme ultra moderne auquel il a ajouté les qualités communicationnelles d’un tribun. L’esprit de son œuvre, et c’est là ma thèse personnelle, est certainement lié à une dépression, dont on constate souvent, lors du rétablissement de ceux qui en souffrent, qu’elle leur fait quelquefois rencontrer qui dieu, qui la sagesse, ou encore l’amour et la fraternité humaine. À n’en pas douter, dans le cas de Joseph Beuys, il s’agit bien de la troisième option : rétablir les liens sociaux au-delà de la seule humanité, mais globaliser le sauvetage ; il a le projet de transformer le monde, comme le souhaitais les révolutionnaires des différentes époques historiques.

Il y a d’abord l’histoire de sa vie, constituée de nombreux évènements dont, d’ailleurs, tous ne sont pas parfaitement avérés. L’importance que revêtent tous les éléments constitutifs de ses œuvres, les matériaux utilisés et l’histoire qui les justifie relève de la première partie de sa vie. Lors de la Seconde Guerre mondiale, Joseph Beuys participa au conflit armé comme pilote de chasse au sein de l’armée allemande. Il était de nationalité allemande, il est tout à fait logique qu’il lui soit demandé d’intégrer l’effort de guerre. Cela a son importance, étant entendu que la suite de sa vie d’artiste va engendrer chez lui un état d‘esprit diamétralement opposé à la vindicte destructrice de l’armée allemande qu’il a été obligé d’intégrer lors de cette guerre, meurtrière pour plus de soixante millions d’individus. Ce qui prouve d’emblée que l’esprit humain peut rester intègre, même quand celui-ci doit lutter contre une histoire personnelle semée d’embuches et qui ne présage pas forcement d’un avenir serein. Toute la société culturelle allemande, dès l’avènement du national-socialisme, a dû composer avec l’espoir insensé que tout serait sous contrôle et que rien ne se perdrait de l’esprit allemand initié par Goethe[2]. C’était, bien sûr, sans compter sur la faculté d’aveuglement des masses populaires, quand on leur promet l’ordre comme préalable à toute solution socio-économique salutaire. Joseph Beuys n’a que plus de mérites à voir sa propre personnalité non atteinte par les vociférations du Führer. Les dérives de la haute société militaire n’ont pas atteint sa pensée, qui allait, après guerre, rendre son constructivisme subversif, positif pour la société en général.

Ce qui participe de l’ouverture de l’art à la fin du XXe siècle est constitué surtout d’une nouvelle attitude de la part d’artistes qui souhaitent changer les codes bourgeois qui ont eu court jusqu’à l’entre-deux-guerres. Paradoxalement, l’art moderne, qui lui aussi avait décapé les us et coutumes qui prévalaient dans la société bourgeoise du dix-neuvième siècle, a été emporté par la même occasion dans les limbes de l’histoire de l’art. Nous pouvons voir, avec le recul, que l’art moderne constituait en fait un prolongement d’un certain classicisme en maintenant certains codes de la tradition. Lors des grandes manifestations, telle la Documenta par exemple, on peut constater le chemin parcouru. Il suffit de visualiser la première exposition organisée par le fondateur Arnold Bodel [iii] en 1955, très classique moderne, lorsque celui-ci n’était pas encore obsolète. Par la suite, celle organisée par Harald Szeemann [iv] en 1972, première exposition d’art contemporain, a permis de constater que les codes de l’art du XIXe et de l’art moderne avaient décidément pris fin.

Pour qui tente de comprendre le changement, il est clair que beaucoup d’artistes ne se sont pas sentis obsolètes durant cette période. Comme un signe du destin, Picasso décède en 1972. Laissant aussi la place à une nouvelle ère créatrice, où les artistes abandonnent beaucoup de principes qui avaient permis de construire de nouveaux codes esthétiques. Sans oublier la praxis ? Si l’on peut tenter d’exprimer en résumé le déroulement accéléré d’un tel chambardement, je proposerais le schéma suivant : d’abord, une première période non culturelle de l’art, conséquence logique de l’ignorance de ceux qui le pratiquaient et de la portée des objets produits. Ce temps a quand-même vu naître ce que nous appelons aujourd’hui des œuvres d’art, telles celles de Lascaux par exemple. La suite, nous la connaissons : les arts du néolithique et des Grecs anciens, suivis de la période gréco-romaine, ont influencé le monde occidental jusqu’au début du vingtième siècle. La peinture, elle, a marqué, dès Giotto certainement, le début métaphysique culturel lie à la pratique artistique. Le champ de vision du tableau permet au spectateur de réaliser un effort mental dans lequel il plonge sa pensée dans l’œuvre en recréant l’espace exprimé en deux dimensions et en lui donnant la valeur de la réalité retransformée en trois dimensions dans son esprit. Cette règle a été d’actualité jusqu’à Cézanne, qui fut le premier à tenter de réaliser une vision des éléments peints du tableau qui permette de donner une valeur à la perspective libératrice. Advient alors une nouvelle poésie autour de l’art moderne, qui prend le pas sur l’objectivité du sujet. L’art abstrait fait apparaître la peinture dans le monde réel…

Premier cataclysme, l’ouverture (fermeture ?) de Marcel Duchamp qui mettra un peu de temps avant d’atteindre son apogée lors de l’avènement de ce que nous appelons aujourd’hui le début de l’art contemporain, en 1960. Une première option à travers Andy Warhol et le pop art, la deuxième option initiée par Joseph Beuys et le mouvement Fluxus. Ce qui relègue de facto l’art moderne dans le tiroir de l’histoire de l’art. Joseph Beuys a d’ailleurs très vite déclaré avoir quitté l’art moderne pour une pratique de l’art plus globalisante. C’en est bien fini de l’œuvre objet sacré et de l’aura de l’œuvre, voici l’action et sa reproduction manufacturée…

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Joseph Beuys- le 12 mai 1921/le 23 janvier  1986. Photo.

Nous nous trouvons donc avec un artiste, en l’occurrence Joseph Beuys, extrêmement représentatif de tout ce qui va préoccuper les artistes les plus pointus depuis les années soixante jusqu’à nos jours et qui font partie de l’avant-garde contemporaine. Nous pouvons, sans prendre beaucoup de risques, lui octroyer la palme de l’artiste le plus globalisant dans sa pratique et sa recherche artistique. Performance, happening, engagement social, écologie, anarcho-syndicalisme : nous sommes tous des artistes, il n’y a qu’à le décider…etc. C’en est fini de la tradition et de sa praxis, une nouvelle ère commence…

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Joseph Beuys- le 12 mai 1921/le 23 janvier 1986. Photo.

Pour entamer un parcours autour de l’œuvre de celui-ci, je commencerai par le happening qui m’a le plus marqué, lors de mes études aux Beaux-Arts : il s’agit des huis clos avec plusieurs coyotes enfermés dans une grande cage métallique. Cette performance s’est tenue en 1974 à la galerie René Block de New York. Très spectaculaire, cette œuvre a fortement frappé les esprits : à cette époque il n’est pas encore courant d’assister à de tels évènements dans les galeries d’art, même si, à New York, on en a déjà vu d’autres. L’idée qu’a voulu mettre en scène Joseph Beuys est un échange entre deux états naturels : d’une part, l’animal, pur produit de la nature et d’autre part, l’homme, agissant dans un monde de conscience et de concepts. Sa volonté affichée a été de mettre au jour la nécessité de respecter l’animal, symbole d’un monde que nous avons quitté par notre insouciance consumériste, et de tenter de se réapproprier son énergie à travers un rituel théâtralisé. Cela lui permet de développer une catharsis très puissante qui fortifie le concept qu’il veut nous transmettre. Cette option, il l’a beaucoup utilisée lors de différentes performances où il a endossé le rôle du chamane ultra moderne. Il faisait corps avec sa pensée pour la transmettre au public civilisé occidental. Beaucoup de spécialistes de l’œuvre de Joseph Beuys ont expliqué les tenants et les aboutissants du contenu intellectuel de celle-ci, je ne vais pas ajouter d’éléments nouveaux, mais plutôt un point de vue plus contrariant à son sujet.

Pendant mes études à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, en 1970, le nom de Beuys est assez vite apparu dans les discussions autour de l’art d’avant-garde. Il a commencé sa carrière après la guerre, mais la reconnaissance de son travail a pris un certain temps avant de réaliser sa percée dans les établissements d’art régionaux.

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Joseph Beuys- le 12 mai 1921/le 23 janvier 1986. Photo.

Les premières discussions contradictoires ont eu lieu dès que l’œuvre de Joseph Beuys a été le prétexte à polémiques entre les professeurs défendant l’art moderne et d’autres l’art d’avant-garde. Je dois à la vérité de dire que certains étudiants étaient déjà conquis par la nouveauté, et cela, on le doit au professeur d’histoire de l’art Guy Vandeloise. Avec le recul, je les félicite pour l’esprit d’ouverture, mais je n’en faisais pas partie à l’époque. Je partageais alors le point de vue d’un de mes professeurs, inconnu pour la plupart d’entre vous : Frédéric Beunkens. Son constat était simple ; pour lui, le choix était : la peinture ou la sculpture, peu importe, du moment que celle-ci était co-substantive d’un continuum expressionniste.

Évidemment, les codes n’étant plus les mêmes, pour résumer, F. Beunkens disait de manière lapidaire autour d’un verre… « Pfff… L’avant-garde c’est simple ! C’est mettre tout à l’envers, les roues deviennent carrées, le devant… l’arrière…, tout est bon comme dans le cochon… Bref, c’est des branleurs, c’est bien plus difficile de faire vibrer sur une toile, un bleu, un rouge ou un violet pour faire bander le spectateur, que de coller trois objets ensemble sur un traineau pour faire un petit train intellectuel… Lei toumé soula [v]…c’est des biestreilles !… Santé Dario… ». Depuis, j’ai quelque peu nuancé l’approbation que je pouvais donner à l’époque de ce discours, il faut bien le reconnaître, truculent, mais très simpliste. Avec le recul, le point de vue peut être revu en faveur de Joseph Beuys : dans le fond, il participe lui aussi d’un expressionnisme, mais beaucoup plus fondamental.

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Joseph Beuys- le 12 mai 1921/le 23 janvier 1986.

Néanmoins, la question n’est pas close. Je n’ignore pas qu’avec ce type de discours, je ne m’attire pas beaucoup plus de sympathie de la part des tenants de l’art contemporain que F.Beunkens à l’époque. Pourtant, il me semble que l’objection peut participer d’un questionnement plus large sur la situation sociologique de création artistique aujourd’hui. De plus en plus, on assiste à une remise en question de la nécessité même de l’existence des académies des Beaux-Arts comme lieu essentiel de la formation des artistes, étant entendu que la praxis est obsolète. Un ensemble important de traders culturels s’appliquent à déstructurer l’organisation muséale des lieux ou l’on montre de l’art. Ils ont besoin de chapelles pour célébrer le sens. Condition sine qua non : il faut réduire le profil de l’artiste à l’action et non plus à la sensation. Lui enlever sa liberté en le formatant à répondre à des besoins qui le dépassent : on lui donne les codes, il les applique…Pour ma part, l’idée que l’art contemporain réduit de façon dégénérative des sources parallèles de créativités et que cela a une implication sociale et politique est avéré. L’artiste a perdu sa liberté, on lui demande seulement de fournir des objets pour l’industrie de l’art et de participer à une société néolibérale de droite consumériste. Vous connaissez certainement l’adage : c’est de l’art ? Oui… Puisqu’on le décide, cela en est ! …

Pour avoir constaté, dans un milieu très provincial que j’adore, comme la région liégeoise, un glissement de texture de ce qui constituait l’artiste type, je fais le constat suivant : sociologiquement, les candidats artistes, par le passé, provenaient de toutes les origines sociales, sans distinction. Pour comprendre cela, il faut savoir au préalable que jusqu’il y a peu, les Beaux-Arts dispensaient uniquement des cours artistiques et d’histoire de l’art. Actuellement, un ensemble beaucoup plus important de cours théoriques vient aider l’étudiant à réfléchir sur le sens qu’il donne à sa recherche, et c’est tant mieux. Finalement, l’on comprend bien que l’adaptation du métier vu ici en matière d’intégration sociale des artistes a suscité un changement des mentalités dans la déontologie comportementale. Par le passé, les artistes concevaient un certain sacerdoce comme nécessaire pour maintenir une liberté de création artistique, sentiment assez vague d’autonomie. Le goût du métier pour certain, suite logique d’une tradition qui naquit lors de la construction des cathédrales, où l’artisanat était tout. Puis ce fut l’ouverture moderne et l’expressionnisme libératoire, au sens de « s’exprimer avant tout », comme fondement d’une nouvelle ère. Mais en préservant un élément essentiel : le maintenir d’un mixe utile entre la praxis et la pensée. Sans cultiver nullement une anti-intellectualisation, l’artisanat faisait partie de l’apprentissage, considéré comme nécessaire, mais sans que celui-ci ne prenne l’ascendant sur l’art véritable. Il semble bien qu’aujourd’hui, les choses changent. Pour envisager une carrière artistique, il faut actuellement envisager le métier comme une petite entreprise. Il faut développer le sens de la communication. Plus prosaïquement : savoir vendre non plus un savoir-faire sublime, mais un faire savoir bling-bling. D’ailleurs, à ce propos, avez-vous remarqué le nombre croissant d’anciens publicitaires et même de traders experts des ventes qui ont rejoint la pratique des arts plastiques pour y faire fortune ? Leurs œuvres sont souvent des métaphores de messages publicitaires sublimées dans une communication hyper visible, fashionable, et fort peu inspirée par l’art.

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Joseph Beuys — le 12 mai 1921/le 23 janvier 1986.

Je ne doute pas qu’un esprit pur possédant un génie incontournable ne puisse plus être reconnu de nos jours, même si il perpétue l’art moderne. Mais force est de constater que tout est mis en place pour privilégier les reconnaissances de toutes sortes venant d’entrepreneurs muséaux et de capitaines d’industries qui, eux, suivent les autoroutes du néo-libéralisme artistique. Il faut aller vite et plaire rapidement, lancer le produit. L’art s’intègre comme marchandise, et celle-ci a besoin d’opérations de Com, réflexe néolibéral intégré totalement par les artistes qui jouent le jeu.

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Joseph Beuys — le 12 mai 1921/le 23 janvier 1986.

L’art public a cet avantage de tenter de réaliser la démocratisation de l’art en supprimant la distance élitiste du musée : il faut se rendre au musée, tout le monde ne le fait pas. Tandis que l’installation, la performance ou l’action in situ permet un véritable dialogue avec le public non averti, mais aussi initié. Sociologiquement, il s’adresse à tout le monde. C’est bien là que nous mène Joseph Beuys. Une écologie de l’être, vu sous l’angle d’une interprétation de sa vie en live. D’une vocation de son corps à l’art de communiquer l’essentiel qui aide à vivre. Redonner une place au vivant, en l’occurrence aux animaux, symboles de la pure nature, mais aussi métaphores du faible que l’on doit respecter. Il plaide pour une société politique qui rend le sens du partage social constructif. Il souhaite donner l’art au peuple, lui rendre une autonomie totale. Libérer l’énergie qui est en nous. Rendre la dignité à l’homme, etc. Y parvient-il ? C’est bien la question. Qu’est-ce que l’art, quand il doit avoir une réelle portée politique[vi] ? Guernica n’a pas changé le monde, même si le recueillement est possible devant l’œuvre. Toutes les contorsions des performances ont-elles fait évoluer la conscience du corps ? Sommes-nous, nous les plasticiens, plus en mesure que quiconque de changer le monde ? Rien n’est moins sûr, d’autant que la dérive est complète à notre époque vers le « tout fait » et le plus vite possible SVP. La faute à qui ? Si l’on se penche sur ce qui fait la nécessité de l’art pour qui aime le contempler, elle est bien ailleurs que dans le soutien d’une cause politique, quelle qu’elle soit. Peut-être dans le bonheur de nous connecter à un mystère que l’artiste met au jour avec le sang qui le parcourt à chaque seconde. Ne serait-il pas plutôt un architecte romantique de la cité culturelle ? De ces émotions que l’on ressent simplement lorsque l’on est heureux de vivre. La vision d’œuvres d‘art touche au plus profond de notre être par la poésie et provoque le plaisir, n’est-ce pas suffisant ? Il ne s’agit pas d’esthétisme, mais du sublime. Celui-ci va bien au-delà du politique et de l’action. Il transcende l’âme humaine ; surtout, il touche la plus simple qui soit ou la plus complexe, sans distinction.

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Joseph Beuys — le 12 mai 1921/le 23 janvier 1986.

Il y a, de mon point de vue une distance de fonction, qui ne permet pas d’instrumentaliser l’œuvre d’art comme outil politique. Sauf à le dévoyer, comme on le fait actuellement, pour qu’il serve de créateur de richesse financière au service du commerce. Plus de bondieuseries en art svp, mais pas de fast food non plus. Le message de Walter Benjamin n’est pas mort, mais il est contextualisé dans la volonté identique qu’avait Joseph Beuys de réformer l’art pour être plus juste vis-à-vis du spectateur, socialement parlant. Malheureusement, comme les médicaments anti-cancéreux, il soigne parfois la maladie, mais en faisant beaucoup de dégâts autour. De grands artistes comme Joseph Beuys et bien d’autres perpétuent le même effet sur les artistes suiveurs d’aujourd’hui, que les anciens maîtres dans les académies d’autres fois, quand les étudiants ne faisaient que copier plutôt que de réinventer l’art. Il n’y a qu’à se promener dans les foires d’arts actuels pour constater les mêmes œuvres inspirées du mouvement Fluxus, sans cesse revisitées. Comme on peut le voir également dans les galeries qui ne comptent pas[vii] : des petites œuvres modernes, succédanés des grandes œuvres d’artistes célèbres. Le constat est valable pour tous les domaines culturels. Donc, ma critique porte plus sur ce que font certains artistes de l’œuvre de Joseph Beuys : notamment entendre moins le message que cloner les objets en une perpétuelle répétition. C’est de l’eugénisme. Sans coït, l’on n’est pas le géniteur. Ils font fi du temps formateur nécessaire, à travers la praxis, pour favoriser l’éclosion de leur propre poésie. Il n’est pas étonnant dès lors d’entendre que nous n’avons plus besoin d’académies. Pour transmettre quoi, la tradition ? Mais il n’y a plus besoin de la transmettre, l’action suffit. L’art contemporain étant basé sur une conjonction d’action et de concepts, il suffit d’un discours bien ficelé, d’une pédagogie autour des  installations artistiques et d’une neutralité des objets sous forme de ready-made. On évacue la patte, le sentiment et la métaphysique pour les remplacer par d’autres éléments codés. Les artistes les appliquent, et de cette manière ils ont la certitude d’être dans la tribu des élus.

Joseph a perdu son combat, lui qui était un sculpteur et un dessinateur remarquable. Le monde d’avant était à réformer, le nouveau est à réformer. Son œuvre ferme une porte au lieu de l’ouvrir comme il le souhaitait. Sauf peut être à être l’initiateur d’un parti écologiste en Allemagne, ce qui est loin d’être inutile… l’art politique ne change pas grand-chose. J’ai fait suivre cette chronique volontairement à celle de Giuseppe Penone. Pour tenter de montrer que les univers des deux artistes, même s’ils sont dans la même influence héraclitéenne, n’ont pas, de mon point de vue, la même évidence artistique. L’une est globalisante universelle et l’autre globalisante politicienne… L’une est un chemin à ressentir pour tous, l’autre à participer pour qui partage les mêmes idées…

Doit-on sans cesse choisir un camp ?…

Facit indignatio versum !

Dario CATERINA.

[1] Joseph Beuys, comme je l’indique ci-dessus, je ne l’appréciais guère lors de mes études. Je ne suis pas sûr que cela ait véritablement changé, sauf qu’actuellement, je rencontre une sublime émotion esthétique à voir certaines de ses performances. Certains diront que ce n’est pas la bonne approche, certes je les comprends, mais c’est mon point de vue. Par contre, constater qu’actuellement, partout dans le monde occidental, l’on retrouve sans cesse les mêmes truismes contemporains en sculpture, les mêmes cris aphones d’actions en tout genre, m’inquiète par l’appauvrissement du monde créatif. Sans nul doute on le doit à des artistes comme Joseph Beuys, qui lui était un grand artiste inspiré et fécond. Son ambition était bien plus grande que ceux qui le singent sans prolonger son message.

[2] Goethe est certainement le dernier poète d’une époque révolue.

«… Le monde de Goethe est passé. Le monde de Goethe est l’achèvement de plusieurs millénaires de l’histoire d’Occident… C’est le monde d’où le nôtre est sorti, mais dont le nôtre s’est déjà à ce point éloigné que Goethe paraît plus proche d’Homère que de nous… » Karl Jaspers.

« Goethe est maintenant le vrai lieutenant de l’Esprit poétique sur la terre. […] Goethe sera et doit être dépassé — mais seulement à la manière dont les anciens peuvent être dépassés, en contenu et en force, en diversité et en profondeur. » Novalis.

[3] Arnold Bode – Fondateur et premier commissaire de la Documenta 1 en 1955.

Si vous avez l’occasion de voir les reportages filmés des premières expositions de la Documenta, vous constaterez l’esthétique moderniste des œuvres est encore présente à l’époque dans une manifestation artistique qui est devenue extrêmement importante aujourd’hui. Il ne faut pas négliger le fait que, à cette époque, l’art américain commençait tout juste son hégémonie européenne, celle-ci était encore à venir. N’empêche, le constat est frappant, c’est bien là que le dix-neuvième siècle est mort.

[4] Harald Szeemann- commissaire d’exposition responsable de la Documenta 5 en 1972.

La Documenta organisée par Haarald Szeemann fut certainement le point de départ de tout ce que nous connaissons actuellement comme principes qui régissent à travers les commissaires d’expositions le monde ultra contemporain du microcosme de l’art actuel.

[5] Freddy Beunkens – 1938 /2009. Peintre liégeois professeur à l’académie des Beaux-Arts de liège. Il participa à sa manière à une réforme de l’enseignement des arts comme artiste moderne, dès les années soixante-dix.

[vi] Nous ne pouvons pas nier le fait que l’œuvre de Joseph Beuys a une portée considérable en termes de remise en question de la société en général. Il est clair que ses propositions, si elles devaient être adoptées, changeraient certainement en profondeur les rapports sociaux et installerait l’écologie globalisante qu’il défendait. On peut raisonnablement se poser la question de savoir si l’art de Joseph Beuys participe réellement à l‘action concrète de la mise en œuvre de ses théories : son discours ne suffit-il pas ? L’ambiguïté de l’implication artistique dans le champ politique, c’est que la démocratie supposerait que toute prise de position doit avoir droit de cité, quel que soit le propos sous-jacent, et là commencent les problèmes. En effet, personne n’ignore le talent littéraire de Louis Ferdinand Céline, mais tout le monde connaît les idées politiques nauséabondes qui ont nui à sa réputation d’homme. Donc, l’art n’est pas tributaire de la bonne carte de parti. Il en va de même avec les artistes anciens que nous admirons, ils ont eu peut-être, des opinions politiques extrêmement détestables par rapport à nos repères d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, personnellement, je pense que l’art se niche dans des valeurs supérieures aux critères politiques. Tant mieux si l’artiste est politiquement du bon côté, mais c’est secondaire à la poésie, au sublime. Bien que l’époque actuelle tente d’ignorer certaines possibilités qui existent toujours d’atteindre le sublime, elle n’a pas encore gagné la partie, surtout si les artistes trouvent de nouveau les moyens de la vraie liberté.

[7] Ici ce que je tente de mettre en évidence, c’est le fait que c’est surtout dans les galeries peu importantes du point de vue de la qualité des artistes présentés que le problème se pose le plus ! Les redites sont monnaie courante, et les œuvres nulles sont légion, mais tout le monde s’en fout… Les œuvres sont bon marché, elles ne comptent pas pour l’industrie cotée en bourse…