…Un peu de tout, s’il vous plaît…

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François Morellet / Centre Georges Pompidou / photos Dario Caterina.

François Morellet (1) présente au centre George Pompidou une installation de plusieurs de ses œuvres qu’il a déjà présentées il y a une vingtaine d’années, lors d’une précédente exposition. Pour n’être pas un amateur radical d’œuvres d’art minimaliste, je fus néanmoins conquis par cette installation. Il est vrai que parfois, pour apprécier certaines œuvres d’artistes pointus, il faut se trouver dans des conditions optimales et lutter contre les aprioris tenaces.

Il est vrai que la complexité de notre époque réduit l’efficacité des discours, fussent-ils critiques pour une bonne cause. Certaines mises au point concernant le substrat qui constitue la nourriture culturelle – en l’occurrence, ici, les œuvres d’art contemporaines – présentent une difficulté de compréhension grandissante. Tous les amateurs sont dans l’expectative de la réalité vraie de leur goût pour l’art. Moi-même je n’y échappe pas, restant persuadé que, dans le fond, je cherche, comme tout un chacun, sans fin, le temps perdu de l’amour de l’art… C’est un peu exagéré ! Rien n’est perdu, l’art contemporain pose toujours avec brio l’éternel retour sur la question de l’art… Il nous place dans l’expectative positive : il faut sans cesse réinterpréter l’art pour que celui-ci réalise une synthèse constructive d’une part de nous-mêmes que nous ne voyions plus ; truisme quand tu nous tiens… Bref, sans cesse, devant des œuvres se constituant par elles-mêmes et leurs objectivités immédiates, nous rejouons la pièce de théâtre du spectateur qui tente désespérément de saisir le message de l’artiste. Vaines difficultés que l’on s’impose ; par là même, on réitère toujours la même erreur : il n’y a rien à comprendre. Il faut avoir la sensation du présent immédiat, phénoménologie d’un instant d’apparition fugace de la vraie réalité. Pour être franc, cela marche parfois. Cette position n’est pas toujours valable, certains artistes ont un message politique ou philosophique qu’il faut déchiffrer pour adouber l’œuvre comme réussie. Pour les artistes minimalistes (2) , la présence pure, seule peut suffire ; il s’agit d’accepter une présence sensible d’une réalité. Suis-je dans un bon jour, je suis tenté de le croire. L’installation des différentes propositions de Morellet m’a nettement intéressé par le résumé de ce qu’elles recèlent comme synthèse de l’objectivité contemporaine de l’apparition de l’art et de la volonté de faire jouer à la création un rôle de démocratisation de l’art dans l’espace public – pour le plus grand nombre. Ici, l’art est politique sans pour autant être lisible à la vision de l’œuvre. Ce qui maintient une liberté esthétique totale, sans nécessiter de lecture du message lors de la vision de l’œuvre. L’avantage de rencontrer à nouveau les artistes qui ont été de vrais précurseurs, c’est la sensation de découvrir une réelle tentative de chercheur. La prise de risque est authentiquement historique, surtout lorsque l’on considère l’ouverture d’esprit nécessaire qu’il fallut à l’artiste pour proposer son point de vue dans le contexte culturel de son époque de création. L’idée d’utiliser de la lumière comme matériau est bien une nouveauté toute contemporaine qui fit avancer la sculpture vers une globalisation hégémonique de son propos : tout est sculpture dans la réalité objective des phénoménologies des apparitions immédiates des substrats de l’art contemporain, ouf… En d’autres termes, et plus simplement, l’apparition de l’art réduit à son constat de la vitesse de la lumière : il est là… on le voit… tout est dit ! Bref, cela permet une approche récréative toute différente de ce que l’on a toujours connu. Je suis un partisan de l’augmentation des tiroirs artistiques. Il faut comprendre ici, dans mon propos, que l’ajout de possibilités de champs d’action artistiques ne me parait pas contredire l’existence des possibilités créatives historiques. Si nous utilisons la métaphore de l’île déserte, où nous ne devrions emporter qu’un seul objet indispensable, il s’agirait pour moi d’un objet symbole de chaque période historique, y compris un objet de notre époque contemporaine… Donc, la visite de l’exposition de Morellet m’inspire l’idée qu’il faut être capable de saisir une œuvre pour ce qu’elle est : il s’agit de l’avancée artistique de notre époque, point à la ligne. Si c’est pauvre, tant pis, si c’est riche, tant mieux. Il y a des secondes très courtes et d’autres très longues… Je préfère le cosmopolitisme spirituel au monothéisme spirituel, qu’il s’agisse d’art ou de politique. Ce qui porte à aimer l’autre peinture ou l’autre art, peut-on peindre un visage… l’autre?

Artiste indien / Centre Georges Pompidou / photos Dario Caterina.

Dans une chronique précédente, je faisais allusion à la difficulté pour les artistes des pays émergeants de passer outre l’influence occidentale quant à leurs inspirations créatives. J’étais resté sur cette analyse, qui est peut-être en passe d’évoluer positivement dans mon esprit après la visite de cette exposition, si j’ai bien saisi le propos des organisateurs de celle-ci. Effectivement, la volonté d’inviter des artistes indiens à un dialogue entre artistes, en l’occurrence des Français, confère à la démarche globale un assez bon degré de réussite. J’en veux pour preuve le fait que l’élément politique et esthétique utilisé par les artistes indiens puise totalement son inspiration dans la culture et la situation politique actuelle de leur immense pays. Somme toute, il réalise l’irrévérence salutaire, la libération de parole nécessaire à la démocratisation, qui est en bonne voie. Par là même, ces oeuvres symbolisent efficacement l’idée que, lorsque l’on résout certaines urgences fondamentales, telles la diminution partielle de la pauvreté et une liberté de parole plus ou moins délestée de censures étatiques, la culture va mieux et s’ensuit une période davantage créative. Pas d’angélisme : cela sera long et difficile, je n’en veux pour preuve que cet élément d’actualité (3), incarné par Anna Hazaré qui a réussi à faire plier le gouvernement indien ces derniers jours. Par ailleurs, nous serions bien inspirés de continuer notre combat, chez nous, notre contentieux occidental étant loin d’être finalisé. Notre poubelle à problèmes n’est pas vide, loin de là… Car il faut considérer honnêtement, même si je suis tenté de positiver l’état généreux de mon esprit cet été, que tant de questions demeurent, malgré tout. Évidemment, il était facile de repérer les œuvres d’artistes indiens au sein de l’exposition. Bien que cette dernière ait été conçue par ses commissaires comme un échange participatif entre artistes indiens et français et qu’on ne distingue pas au premier abord la provenance géographique des œuvres spécifiquement contemporaines dans leur contenu, on situe très vite les œuvres qui font directement référence à la culture dont elles sont une émanation, telle une tête typiquement issue de la culture hindoue ou un Gilles de Binche (4) . Il en va de même pour les références politiques, qui sont elles aussi reconnaissables immédiatement. Bref, une exposition de grande qualité qui démontre, s’il le fallait encore, que l’échange est une vertu s’il est consenti dans le respect mutuel des différentes parties… Je reste néanmoins sceptique quant à la nécessité de considérer les références politiques comme critère unique de densité des œuvres : l’art doit faire bouger la politique par induction et non par subduction…

Julian Schnabel / Musée Correr / Venise / photos google.

Au musée Correr (5) de Venise, les œuvres de Julian Schnabel (6) sonnent le tocsin, comme un rappel pictural à ceux qui naïvement pensaient la peinture finie philosophiquement. En effet, la pointure de Schnabel sur l’échelle des critères du grand peintre frôle le maximum tellurique des grands tremblements de terre. Les toiles immenses célèbrent, par la démesure de leur dimension, la pérennité de la peinture. Qu’on se rassure : il y en a aussi des mauvaises, mais là, c’est plus une question de goût que de critique !… N’en déplaise aux détracteurs — et j’en suis parfois — du vedettariat, il s’agit bien d’un peintre majeur poursuivant l’aventure de la peinture expressionniste, en smoking, d’accord – comme d’autres -, mais sans se ménager d’échappatoire : il peint comme il sort ses tripes, en s’aidant de son esprit corps. Il faut croire qu’Anselme Kiefer (7), Georg Baselitz (8) et Julian Schnabel (même si celui-ci est issu de l’immigration allemande aux États-Unis) portent l’expressionnisme allemand et la peinture peinture à toujours être vivante dans l’époque. Bien sûr – et on excusera mon parti pris – Ansel Kieffer globalise mieux, à mon sens, le travail des artistes allemands qui tentent de positiver l’art comme moyen cathartique d’expiation du mal absolu qu’a représenté le nazisme pour la nation allemande. Sans être coupables, ils doivent en somme expier une faute, en la transcendant dans une créativité sans faille qui montre une force positive, refusant la brutalité en la domestiquant comme élément vital lors de la réalisation de leurs œuvres d’art. Notons la différence majeure entre des artistes de cette trempe et les Jeff Koons et consorts, ces derniers n’hésitant pas à faire réaliser leurs œuvres par d’autres tout en s’en assurant la paternité, à coups de millions de dollars… Comme je le dis plus haut, je ne globalise pas la qualité chez Schnabel. Certaines œuvres – je peux me tromper, donc je suis prudent – semblent, malgré tout, plus faibles. C’est peut-être là où s’exprime l’humanité du peintre. L’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous. Au fond, les rétrospectives servent aussi à réaliser un bilan. Nous sommes tous susceptibles d’être jugés – je bats ma coulpe (9) – positivement ou négativement sur nos œuvres, recouvrant une longue période créative. Celle-ci ne se déroule pas, loin sans faux, sans être encombrée d’erreurs en tout genre. Il faut savoir détruire les œuvres ratées, pour ne pas courir le risque de les retrouver sur son chemin, comme un furoncle sur le derrière… Évidemment, les œuvres de Schnabel valent leur pesant d’or, donc, cela fait mal au portefeuille des marchands… Néanmoins, je suis admiratif devant un artiste d’une telle énergie, bien que plus âgé que moi, de peu. Je suis sorti de cette exposition en me disant qu’il était temps de me remettre au travail. Ce n’est jamais fini, la route est longue…

Biennale de Venise / Arsenal / Photos Dario Caterina.

Quelques mots au sujet de la Biennale de Venise, c’est plus fort que moi. C’est très personnel, mais je profite de l’occasion qui m’est donnée ici pour vous parler du cours de sculpture que je donne à l’ESAL de liège. La Biennale fait la part belle, cette année, à un artiste qui réalise des projets architecturaux rêvés, qui fait se rejoindre la sculpture et l’architecture en une même discipline, qui somme toute n’a jamais quitté l’esprit des vrais sculpteurs, du moins ceux qui ont intégré comme indispensable l’intérêt de penser les lieux de vie, pour une réalisation complète de l’art, et de la vie. Je ne peux m’empêcher de penser aux travaux de mes étudiants, qui trouvent ici un écho inattendu (je ne connaissais pas cet artiste avant de le découvrir à la Biennale). Ceci doit les encourager, comme moi-même, à persévérer dans la voie que nous avons choisie pour notre atelier de sculpture, avec l’aide de Samuel Zarka autour de « l’intégration monumentale dans les espaces publics » … L’intégration monumentale dans les espaces publics d’œuvres d’art sculpturales est un élément qui a toujours existé dans l’architecture de toutes les époques. Cette option contemporaine renvoie à une fonction collective de la création artistique. Les études de sculpture permettent aux étudiants de concevoir des œuvres d’art qui réalisent une tripartite artiste – œuvre d’art – public. Il s’agit là d’une interactivité qui constitue, pour nos formations artistiques, une opportunité de justification citoyenne du rôle de l’artiste dans la société. Il ne s’agit nullement, pour ce qui me concerne, de formater les artistes pour qu’ils fournissent, comme l’a si bien fait l’art sous les soviets ou sous les religions, des œuvres à visées édificatrices de la foi ou discours pédagogiques autour de la politique. Mais plutôt de relier entre elles diverses expériences sensibles et les fonctions d’échanges territoriales culturelles entre les individus d’une même société. En cela même, l’humanité des individus et la conscience sensible de leur propre existence se trouvent transversalement modifiées ou confortées en contact avec l’autre. Nous avons engagé un travail que nous allons partager avec d’autres ateliers de sculpture de divers pays européens. Nous allons échanger notre point de vue et partager notre expérience avec d’autres sculpteurs, professeurs et étudiants, en sollicitant le dialogue constructif nécessaire pour peaufiner notre projet.


Fabrizio Plessi / Biennale de Venise / Pavillon de la ville de Venise / Photos Dario Caterina.

Last but not least, un artiste italien et l’installation « Mariverticali » de Fabrizio Plessi (10) qui m’a beaucoup plu… Il joint la sculpture à la vidéo d’une manière remarquable. L’une ne peut vivre sans l’autre. C’est là la condition fondamentale pour réaliser la fusion transversal de la sculpture historique, vieille dame de l’histoire de l’art, et de la vidéographie, jeune femme dont les menstruations rythment le temps de l’écoulement de l’art contemporain… Je suis déjà dans l’art d’après l’art contemporain, c’est-à-dire celui qui admet le cosmopolitisme comme ouverture en vue de rétablir le pluralisme de l’amour de l’art…
Ai-je fumé la moquette récemment ? Ou le vin blanc produit en Toscane par Francesco Ruschi Noceti qui se nomme « le 8 octobre »… allez savoir…

Abusus non tollit usum.

Dario CATERINA.

(1) François Morellet est un artiste contemporain français, peintre, graveur et sculpteur, né en 1926 à Cholet. Il est considéré comme l’un des acteurs majeurs de l’abstraction géométrique de la seconde moitié du XXe siècle et un précurseur du minimalisme. Il fut également industriel de 1948 à 1975.

(2) Courant artistique né au milieu des années 1960 aux États-Unis. Ces artistes s’approprient la devise de l’architecte Mies Van Der Rohe « Less is more », moins c’est « plus ». Le minimalisme est caractérisé par des formes simples, lisses et géométriques. Les œuvres sont dépouillées à l’extrême et s’appréhendent corporellement ; on ne se contente plus de les contempler simplement. L’artiste ne crée rien et ne possède aucun savoir-faire : il assemble et combine des objets produits industriels… » Voici ce que l’on peut lire sur la définition du minimalisme artistique en art en cherchant sur le NET. Néanmoins, il y a d’autres courants minimalistes qui ne sont pas concernés par cette définition. Je pense notamment aux artistes monochromistes ou s’en approchant. La couleur a pour eux, parfois, une valeur spirituelle, parfois existentialiste, parfois romantique.

(3) La police indienne a arrêté mardi 16 août plus d’un millier de manifestants anti-corruption et un activiste de 74 ans, Anna Hazaré, qui compte entamer une grève de la faim pour lutter et peser sur un projet de loi anti-corruption en cours d’examen au gouvernement. Une nouvelle affaire explosive pour le gouvernement indien, forcé de jouer la démocratie.

(4) Les Gilles de Binche sont certainement à classer parmi les plus beaux costumes de carnaval qui existent de par le monde. L’origine exacte des costumes est à situer dans une hybridation de différentes influences folkloriques populaires régionales et probablement aussi en Amérique du Sud.

(5) Le musée Correr de Venise, qui se situe dans les bâtiments qui entourent la place St Marc, organise de magnifiques expositions. Généralement, les artistes proposés sont comme des sauveurs des qualités que nous sommes en droit d’espérer de la part d’organisateurs d’évènements autour de peintres de renoms.

(6) Julian Schnabel est un peintre néo-expressionniste et un cinéaste américain né en 1951 à New York.

(7) Anselme Kiefer, né le 8 mars 1945 à Donaueschingen, est un artiste plasticien contemporain allemand qui vit et travaille en France depuis 1993.

(8) Georg Baselitz, né Hans-Georg Kern le 23 janvier 1938 à Deutschbaselitz, est un peintre et graveur allemand.

(9) Ici, je n’exprime pas une culpabilité judéo chrétienne en donnant l’illusion du confessionnal, mais je dois bien reconnaître que j’ai certainement réalisé bien plus de mauvaises œuvres d’art que de bonnes. Je suis très dépité, de n’avoir pas détruit les œuvres dont la qualité médiocre me renvoie à mes échecs. Il Faut rester modeste si l’on tente de dire certaines choses dans le monde de l’art. Je reste persuadé que le risque de prendre la parole reste tout de même une solution d’énergie qui peut bousculer les choses, dans tous les sens possibles.

(10) Fabrizio Plessi est un artiste italien représentant la Ville de Venise à la Biennale du même nom.