18 lettres à ma fille / chapitre 2

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Ce texte participe d’un atelier d’écriture en ligne

/ proposé par Arnaud Friedmann.

/ vous pouvez connaître la règle du jeu ici : si vous souhaitez participer et rédiger la lettre des huit ans, vous devez adresser votre texte avant dimanche 1er novembre à 19h.

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….18 lettres à ma fille / Chapitre 2

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…. Je n’ai pas pu faire mieux. Des phrases sèches, une concentration extrême pour ne pas faire de fautes. Des conseils à la con. Tu ne dois pas être triste. J’ai la gorge nouée. J’espère que tu ris souvent. Pour ma fille de sept ans, vraiment, je ne peux pas faire mieux ? J’ai chialé, bien sûr, le dégoût de crever et la honte d’écrire ça, ces phrases misérables, ce pathos absolu. Deux pages. Et en bas, papa, cette signature de mort.

….Je ne la récrirai pas. Ne modifierai pas un mot. Je n’en aurais pas la force. Je ne sais pas si c’est bien, qu’un père conseille à son orpheline l’hilarité. J’ai vaguement l’idée que ça pourrait lui faire du mal. Mais ça ne se fait pas, non plus, de crever à trente-trois ans. De chialer sur une table pendant que son enfant dort, parce qu’on ne trouve pas mieux à lui dire pour le jour de ses sept ans que de se mettre à sa fenêtre, le soir, en cachette des adultes, et de lui murmurer des secrets. De chialer parce qu’on vient de réaliser que le jour de ses sept ans, on ne sait pas dans quelle chambre elle dormira, quels volets elle ouvrira, le temps qu’il fera. Qui l’aura mise au lit. Quelle robe elle portera. Qui sera couché à côté de sa mère. De chialer parce qu’on ne trouve rien de mieux à dire à sa fille que : sois sage avec ta maman, et : travaille bien en classe. De chialer parce qu’on se rend compte qu’on ne sait pas être père, qu’on ne l’aura jamais su. Qu’on aurait aimé avoir le temps de le devenir, parce que peut-être, ça, au moins, on l’aurait réussi.

….Je ne sais pas si c’est bien. J’écris cette lettre, parce qu’à vingt ans j’aurais aimé en lire une de mon père. Voilà : pas capable d’avoir été un fils, et le culot d’être devenu père. Papa, en bas de la lettre. A vingt ans, j’aurais aimé ça. Papa. Une nouvelle signature. C’est absurde que papa ce soit moi. Papa, ça n’aurait dû rester qu’un mort la veille de mes vingt ans. Voilà. Un mot. Pas moi.

….Dans 18 jours, c’est moi qui serai mort. Ou tout comme, retiré des vivants dans une chambre d’hôpital. Il sera temps de détruire les lettres, d’ici là. Je vais continuer. Demain. Chaque après-midi, pendant les siestes. Me forcer à grandir en même temps qu’elle pendant les 18 jours qui me restent, sans rien savoir de ce que ce elle sera.

….J’avais presque oublié la douleur. D’un coup, je la retrouve, en même temps que l’attente.

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Ce texte participe d’un atelier d’écriture en ligne

/ proposé par Arnaud Friedmann.

/ vous pouvez connaître la règle du jeu ici.