La critique c’est chic 8

Dans les critiques chics précédentes, nous avons tenté de rendre compte, dans une perspective générale, de la manière dont l’art, depuis Édouard Manet, était travaillé par une dissociation entre, d’une part un contenu politique revendiqué d’une manière sans cesse plus appuyée, et d’autre part son contenu politique effectif.
La dynamique de l’art moderne fut et demeure duale. L’opposition entre ses deux directions est apparue le plus nettement à travers l’art contemporain, la dyade se cristallisant dans le grand renfermement mental de l’art d’après-guerre. Ces tendances deviennent alors : art et vie confondus d’une part, art auto-référentiel d’autre part. Au cours de leur développement, chacune de ces tendances passe dans l’autre : l’auto-référentialité devient l’indistinction de l’art et de la vie, et celle-ci auto-référentielle, dans un ensemble d’oppositions se renouvelant dynamiquement.
En outre, nous affirmons que chacune de ces voies comporte, intrinsèquement, une implication politique. Nous l’avons déjà esquissé dans ces pages, mais redisons-le toutefois. Pour l’art et la vie confondus, cette implication est manifeste : il s’agit de « changer la vie » (Rimbaud) par l’art, ce dont l’exemple de dada, du surréalisme, de Fluxus ou de l’esthétique relationnelle sont des expressions. Cependant, de ne pas faire le détour par l’économie politique, c’est-à-dire par le temps de travail abstrait, cette tendance artistique débouche sur diverses morts prématurées et autres impasses. En ce qui concerne l’art auto-référentiel, le contenu politique est moins évident en première approche, et pourtant tout aussi réel : le contenu de l’art, réduit à sa forme, se veut « vrai art », « vrai beau », « vraie culture » et variantes du même thème, selon une situation supposément a-politique. Celle-ci se constitue pourtant en légitimation de la séparation entre bourgeoisie et prolétariat du point de vue culturel d’abord, puis, par extension, de tous les points de vue. Cette séparation est alors tenue pour éternelle, selon un grand classique de l’argumentation esthétique réactionnaire, faisandée : « l’art a toujours le fait des riches ». Mais, de se complaire ou réfugier dans le refus de l’histoire, l’art auto-référentiel perçoit dans le mouvement social un danger pour ses conceptions.
Dans les deux cas, le contenu politique revendiqué de l’art diffère de son contenu politique effectif. L’art « de gauche » ne comprend pas que le politique commence à la racine de l’homme (pour l’écrire comme Karl M.) — c’est-à-dire non pas selon une robinsonade, celle d’un homme sorti tout fait de sa propre histoire atomistique, mais selon l’histoire réelle, mondiale. L’art « de droite » n’admet pas que ses conceptions sur « l’éternité de l’art vrai » soient des productions historiques, donc tout aussi bien périssables, car dépassées par ce que le mouvement social contient de supérieur à elles. Dans les deux cas, l’art a une autonomie de contenu, mais impuissante sur le plan politique. Beauté sans force.
Qu’inventer de nouveau pour sauvegarder ses illusions? Ici, il est utile de remarquer comme actuellement maints artistes de l’un et de l’autre bord convergent dans le recours à l’écologie comprise ou bien « nouvelle gauche », ou bien comme impératif transcendant les intérêts de classe. Nous disions bien qu’il n’y a, au fond, qu’un seul art [1].
Tout cela nous l’avons, en substance, déjà écrit dans ces pages. Voici le nouvel élément : sur un plan esthétique, nous proposons à présent de rassembler les manifestations de la séparation entre contenu politique revendiqué et contenu politique réel dans une même idée, une même dynamique, celle d’une spatialisation tendancielle du temps.
Nous posons cette hypothèse. La suivant, nous pouvons rendre compte du caractère général des arts pour la séquence historique 1970-2011. De manière centrale, ce caractère consiste en la séparation entre le caractère objectif et subjectif du temps — unité rompue par l’espace. À travers l’analyse de ce trait général des arts, mais spécifique dans sa modalité, nous retrouvons une conception complétée du temps historique, comme temps pratique et comme temps symbolique (ou mythique). Tout ce que l’art de la séquence indiquée a pour fonction de dissimuler, refouler, éloigner de la conscience.
Comment sommes-nous passés du politique au rapport au temps?
En suivant une hypothèse préalable à l’idée d’une spatialisation tendancielle du temps, celle-ci : le temps est la dimension cachée de l’esthétique.
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