Chronique saturnienne 8 / L’exposition Aragon et l’art moderne, les Mémoires de guerre au bac

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L’exposition « Aragon et l’art moderne » au Musée de la poste commémore cette tradition qui fait se rejoindre peintres et poètes : de Baudelaire à Aragon en passant par Apollinaire.

Les quotidiens se sont étonnés des contradictions dans le choix du poète sur le grand écart entre Matisse et Fougeron, entre Picasso et Lorjou, c’est-à-dire entre les recherches les plus avancées en matière de peinture et un art beaucoup plus figuratif conforme aux critères du « réalisme socialiste ». De là à conclure que L’auteur d’Henri Matisse, roman n’avait pas de principes en art, il n’y a qu’un pas. Le Figaro pérore « Un bon écrivain ne fait pas forcément un bon critique d’art » ; Le Monde parle quant à lui de « schizophrénie ».

Pourtant, Aragon n’a jamais caché ses contradictions. Mais il en a fait un principe dynamique, de recherche. Recherche, d’ailleurs collective, qui va culminer au congrès d’Argenteuil, où l’on considère précisément que les recherches formelles en art ne sont pas du formalisme.

C’est pourquoi Aragon est l’inventeur d’un réalisme socialiste qui ne ressemblait qu’à lui. C’est d’ailleurs le seul qui vaille : un réalisme qui ne fétichise pas le réel. Mais est-ce que Gorki avait abandonné ce « caractère actif de la connaissance » cher à Marx ?

Et si le mérite d’Aragon consistait à ne s’être pas perdu dans le dilemme néokantien du formalisme vide et de l’empirisme aveugle ?

« Le grave est, justement, qu’habitué de toute ma vie à regarder un dessin de Picasso, par exemple, en fonction de l’œuvre de Picasso, j’aie perdu de vue le lec­teur, qui regarderait cela sans se préoccuper du trait, de la technique. C’est là mon erreur. Je l’ai payée très chèrement. Je l’ai reconnue. Je la reconnais encore. »

« Le poète fonde ce qui demeure. »

Le PS contre de Gaulle et Guy Moquet

Les Mémoires de guerre seront-elles au programme du bac littéraire ? Des professeurs s’en sont émus. Une pétition étrange circule : « Nul ne songe à discuter l’importance historique de l’écrit de de Gaulle : la valeur du témoignage est à proportion de celle du témoin. Mais enfin, de quoi parlons-nous ? De littérature ou d’histoire ? Nous sommes professeurs de lettres. Avons-nous les moyens, est-ce notre métier, de discuter une source historique ? d’en dégager le souffle de propagande mobilisateur de conscience nationale ? »

Sous le Second empire, l’amendement Riancey visait interdisait de faire du roman-fiction sans étiage historique (cf. Angélique de Nerval). Aujourd’hui, c’est l’inverse : il faut absolument que la littérature ne soit que du roman. Et si possible du Musso ou du Gavalda.

Une autre pierre d’achoppement est bien sûr les arrière-pensées politiques du Président. Et alors ? Il faudrait au contraire profiter de cette intention louable de magnifier la Résistance pour les mettre en contradiction avec la volonté manifeste de saper l’édifice de protection sociale que cette dernière a érigé. Denis Kessler, numéro 2 du Medef, ne déclarait-il pas qu’il fallait en finir avec le programme du CNR ?

En vérité, il se produit la même chose qu’au moment des hommages rendus à Guy Moquet : un certain nombre de profs séduits par le PS sont fâchés avec la réalité historique et ont bien des raisons de l’être. La Résistance française est principalement due aux gaullistes et communistes (pour la résistance armée, elle est majoritairement le fait des communistes). Ces professeurs qui prennent le « care » de Martine Aubry et la « fraternité » de Ségolène Royal pour une planche de salut sont gênés aux entournures. Ils haïssent l’histoire et « tout ce qui n’est pas littérature » comme disait Kafka pour une raison simple : si l’on fait le bilan serein de ces années noires, ce que l’on retient des socialistes, c’est que la majorité des députés SFIO a voté les pleins pouvoirs à Pétain.