Provocations des nationalistes flamands en plein Parlement, valse des ministères, ségrégation autour de Bruxelles : nos compatriotes ont l’air de s’en moquer comme d’une blague belge. Il faudrait pourtant bien comprendre qu’un pays est en train d’exploser à nos frontières et que toute explosion a ses déflagrations. URSS, Yougoslavie, Tchécoslovaquie, aujourd’hui la Belgique, tous ces pays ont en commun d’avoir été forgés non sur le « Blut und Boden » mais sur un projet commun, non sur une conception naturelle, mais culturelle, de la nation. Comme prochaine victime désignée des serial killers de l’ethnicisme, on songe bien sûr à notre République qui, d’un « agrégat de peuples désunis », a forgé une idée de bonheur qui reste toujours neuve en Europe. Voilà ce qui arrive lorsqu’on laisse la « main invisible » du marché. Le nationalisme flamand repose sur les mêmes fondamentaux que celui de la Ligue du Nord en Italie. C’est un nationalisme de nouveaux riches, de petits dirigeants de PME que la crise rend de plus en plus enragés. L’idée même de redistribution des richesses par l’impôt leur est insupportable. Si l’on ne muselle pas ce que Hegel appelait déjà « la bête sauvage », c’est-à-dire le marché, la société civile, nous aurons droit à la balkanisation de l’Europe entière.
L’Union allemande
Pour le grand bonheur d’une Allemagne de plus en plus revancharde. Qui elle, bénéficie d’un capitalisme prédateur autrement plus développé jusqu’au stade suprême de l’impérialisme. Nos dirigeants veulent nous conduire à une Europe « allemande » : conception ethnique de la nation, régionalisation à l’extrême, droit du sang, et mise en concurrence des peuples, puisque le secret de sa réussite consiste à avoir pressuré les salaires intérieurs pour mieux exporter. On nous fait croire que nous avons fait l’Europe alors qu’au contraire, nous avons fait l’Allemagne. La stabilité de l’euro, empêchant les dévaluations compétitives, en a fait le premier exportateur de la zone, un pays ultra-compétitif dont la seule variable d’ajustement est précisément les salaires. Ce pays où les pires « réformes » ont été faites par des sociaux-démocrates, où les syndicats acceptent des gels des salaires en échange du maintien de l’emploi, où 9% seulement des Allemands sont contre le capitalisme (pour 42% des Français) n’est pas un pays de « concertation », mais de soumission au capital. L’Allemagne hérite d’une longue histoire de persécution des travailleurs de Bismarck à la RFA, qui a culminé avec l’anéantissement des communistes et des sociaux-démocrates à Buchenwald. La RFA n’est pas un modèle de réussite économique, c’est un anti-modèle pour les peuples, à commencer par le sien qui, à l’Est principalement, subit une véritable terreur blanche, par la destruction d’un Etat, le chômage de masse et l’indécente tolérance des mouvements néo-nazis.
Aujourd’hui, la prochaine marche du capitalisme allemand, n’est plus la RDA, ou la Yougoslavie, c’est la Grèce. Pays qu’on accuse d’avoir vécu au-dessus de ses moyens alors qu’on lui a imposé l’euro y compris en l’aidant à camoufler sa dette publique, et où le salaire moyen était en 2008 de 760 euros seulement. Tous les autres peuples sont menacés par de plans d’austérité de cette nature sans parler des attaques de la spéculation. Car les grandes banques font monter les enchères des taux d’intérêt des emprunts pour mieux se payer sur la déflation salariale et la destruction des services publics qu’on impose au peuple grec.
Ne nous voilons pas le facebook
La loi que le gouvernement entend faire passer à propos du voile intégral est une loi hypocrite, qui comme toutes les lois bourgeoises, ne sauve que les apparences. Mutatis mutandis, elle ressemble à ces lois qui n’interdisent pas la prostitution mais ne sanctionnent que le racolage. Cette loi anti-burqa est en réalité une loi pro-gynécées. On ne peut légiférer du jour au lendemain sur les mœurs. Celles-ci ne peuvent évoluer qu’avec le progrès social. D’où l’imposture d’un féminisme qui serait coupé du mouvement ouvrier. On ne peut pas faire suer le burnous et interdire la burqa en même temps. Les pauvres ne peuvent pas avoir des mœurs de riches du jour au lendemain.
On devrait s’interroger également sur un autre sectarisme inverse, celui qui consiste à tout dévoiler, à tout raconter, à longueurs de blogs ou de télé-réalité, véritable héritage détourné de l’obligation de la confession chrétienne. Ne nous voilons donc pas la face d’accord, et dans tous les sens du terme, mais n’allons pas non plus l’offrir en pâture sur face book. A propos, le « livre de gueules » envisage bientôt de devenir payant. On nous a bien « addicté » et après on va faire payer, payer notre propre aliénation. Cela va devenir cher de se faire des « amis », même si, comme disait Alceste, « l’amitié demande plus de mystères ».
Rimbaud est un autre
A propos de face, voilà maintenant qu’apparaît celle ironique d’un Rimbaud de trente ans qui nous contemple depuis les années 1880. Avec le vrai portrait de Lautréamont, cela fait une belle prise, une belle « chasse spirituelle », pour reprendre le nom du faux poème attribué à Rimbaud. Car il y a toujours quelque chose de faux dans cette vraie photo retrouvée, si on la tient pour un fétiche à accrocher comme sur face book. Nerval devant sa propre photo disait déjà « je suis l’autre », ce qui montre bien que le « Je est un autre » rimbaldien est bien un symptôme de modernité indépassable. Voire. L’amour était pour Rimbaud à réinventer. Face book l’a presque fait : il a fait de l’amitié un concept immédiat, épileptique, et lucratif. On n’arrête pas le progrès.