Selon les principaux médias, nous ne serions pas passés bien loin du KO, du krach obligataire. Voire. Quand on veut noyer son chien on l’accuse de la rage. Nous avons assisté cette semaine à une dramatisation artificielle mettant en scène comme d’habitude les fameux déficits publics de plusieurs pays : la Grèce mais aussi le Portugal et l’Espagne. Et cela pour mieux préparer le terrain à une offensive généralisée contre les peuples.
L’Union Européenne gère la crise actuelle en pleine conformité avec ses orientations néo-libérales et son autoritarisme politique et économique, lesquels sont à l’origine de la crise actuelle et l’ont aggravée avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Ce prêt à intérêt que l’on donne à la Grèce cautionne en réalité une politique de casse sociale généralisée. Dans l’intérêt de ceux-là mêmes qui ont creusé les déficits en faisant des cadeaux exorbitants au patronat et aux banques, qu’ils ont renfloués, pour ensuite mieux nous endetter auprès d’elles, pour mieux nous dicter leurs lois. Sans parler du diktat de l’euro dont la fonction est d’empêcher toute dévaluation compétitive, c’est-à-dire une politique indépendante à l’échelle d’un pays.
Le FMI et l’Europe, la droite et la sociale-démocratie internationale, de Strauss-Kahn à Papandréou sont tous complices. Les atermoiements de l’Allemagne pour cause d’opportunisme électoraliste sont un épiphénomène : la bourgeoisie allemande comprend de toute façon qu’elle ne peut se défausser de ses solidarités de classe en jouant cavalier seul. En réalité, jamais une politique européenne n’a été aussi unanimiste dans la réaction depuis le Congrès de Vienne.
Ce n’est pas « la Grèce » qu’ils sauvent, mais eux-mêmes, c’est-à-dire l’euro et l’Europe.
Byron était mort pour la Grèce à Missolonghi. Aujourd’hui, en solidarité avec le peuple grec qui mène une lutte admirable, on n’en demanderait pas tant. Il suffirait déjà que chaque peuple accepte de secouer ses propres chaînes, de laver les affronts des votes anti-européens annulés, bafoués, revotés. Il suffirait juste de sortir de l’Europe, ou du moins de comprendre que c’est là qu’est le seul acte de courage. « Face aux grands périls, le salut n’est que dans la grandeur », comme disait le général. La grandeur, ou du moins le refus de la petitesse, ce serait commencer par refuser cette constitution rejetée au suffrage populaire et imposée à Versailles.
Les liaisons dangereuses
Dans ce contexte dramatique, il est presque honteux d’évoquer l’affaire de la burqa, qui sert bien sûr de dérivatif commode au mécontentement social (en Belgique, sa récente interdiction sert même à éviter le débat omniprésent sur l’implosion du pays). J’y reviens néanmoins pour le piquant de certaines anecdotes. Ainsi, après sa déclaration de presse, avons-nous appris que Lies Hebbadj, le mari de la conductrice roulant voilée intégralement, n’était pas polygame, mais avait simplement des « maîtresses ». Plaisant à entendre, ce doux mot libertin dans la bouche d’un homme dont le fantasme quotidien semble d’être de soustraire le beau sexe à la lumière du jour. On a beau faire, on voit mal Hebbadj dans une pièce de Guitry. Il manque cruellement d’humour et d’amour de la langue, lequel va souvent avec l’amour des femmes. N’a-t-il pas affirmé qu’il ne pouvait être « déchué (sic) de sa nationalité » ? Certes, si nationalité il doit y avoir, la seule légitime devrait être fondée sur le fait de maîtriser sa langue ou pas. Mais l’on ne va pas déchoir de sa nationalité quelqu’un pour un solécisme, ou alors dans ce cas, il faudrait commencer par ceux qui n’ont pas l’excuse de n’avoir pas le français pour langue maternelle, de Ségolène Royal et sa « bravitude » aux managers qui nous gèrent en implémentant leur business-models qui impactent l’économie en passant par tous les jargons « citoyens ». Notons tout de même, que le marquis de Sade, pourtant sorti tout droit de l’Ancien régime, qui souhaitait que la femme fût libre d’avorter, de faire l’amour et des enfants comme elle l’entendait, était plus progressiste que Lies Hebbadj, ce qui n’est pas peu dire.
A cela se mêle dans l’actualité l’affaire Ribéry, qui est en fait révélatrice de tout un milieu : les footballeurs milliardaires, pour éviter les chantages à l’enfant et autres tracasseries, sont contraints à de vulgaires passes. A quoi cela sert-il d’être jeune et beau, traînant tous les cœurs après soi si c’est pour acheter l’amour ? A quoi bon être un héros, un Tristan des stades ? On comprend qu’avec un pareil manque d’affection, Dieu soit l’unique réconfort pour cette âme en détresse, qui paraît-il, se tourne vers la Mecque après chaque but.
Moralité (et surtout pas morale) : tout cela est dérisoire et ce qu’il faudrait face à ce genre de tartuferies, ce sont des Molière, et certainement pas des opérations de police, des dénonciations et des chasses à l’homme médiatiques indignes de notre République.
Ces frênes qu’on n’abat pas
Charles Pasqua vient de bénéficier d’une clémence de la justice dans un certain nombre d’affaires. En effet, qu’on l’aime ou non, Charles Pasqua est un homme d’Etat, et vu son âge, c’est désormais à l’histoire de le juger. Qui plus est, à son niveau d’implication, on ne condamnerait qu’un bouc émissaire de tout un pan de notre histoire. Les Bonaparte ont toujours leur Talleyrand et leur Fouché ; c’est la politique de l’Empire qui compte.
L’Empire, c’est ici le gaullisme, tel qu’en lui-même l’éternité le change. Résistant à quinze ans, fondateur du SAC, où il lutta contre l’OAS puis dans des combats beaucoup plus discutables, terreur de la vieille droite vichysto-centriste, puis partisan farouche du libéralisme, Charles Pasqua aura connu les gloires et les vicissitudes, les servitudes et les grandeurs de toute sa famille politique. C’est même lui qui a présidé aux changements de direction décisifs. A chaque fois, en choisissant le pire : Chirac contre Chaban, Balladur contre Chirac. Jusqu’à l’amertume. Jusqu’à la brouille avec ses propres chefs. Jusqu’à la traversée du désert qui se termine sur un procès peu glorieux.
Il est avec d’autres le témoin de la décrépitude du gaullisme. Séguin avait accepté de revêtir la grosse houppelande de la cour des Comptes, Villepin cabotine, Dupont-Aignan fait le gendre idéal. Ce sont les frênes qu’on n’abat pas, par charité, sur les bords de la route de Colombey et qu’aucun Malraux n’ira visiter.
Napoléon faisait, disait-il, ses plans de bataille, avec les rêves de ses soldats endormis. Et aujourd’hui, à quoi rêve-t-il, le lieutenant Pasqua, soldat perdu du gaullisme qui aura perdu son chef pour avoir vu le soleil d’Austerlitz se lever trop tôt pour lui ? Cambronne aura au moins sauvé l’honneur en prononçant le mot de cinq lettres. Le gaullisme définitivement dissous dans la droite réactionnaire, sort ici de l’histoire avec moins de panache, par un simple acquittement.
Aymeric Monville