Du vent et des vibrations dans la sculpture contemporaine

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Baudouin Oosterlynck / galerie du triangle bleu / Stavelot.

Je me suis rendu récemment dans une exposition remarquable de l’artiste Baudouin Oosterlynck à la galerie du triangle bleu de Stavelot [2]. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Baudouin Oosterlynck est un artiste qui a réalisé avec brio le passage de la pratique de la musique et l’induction de celle-ci à la sculpture. Il n’est pas rare de nos jours de voir diverses pratiques se mélanger pluridisciplinairement pour atteindre un autre niveau de lecture. Pour ce faire, les artistes et praticiens de toutes sortes font appel à un esprit créatif non soumis au politiquement correct et aux truismes plastiques de l’art contemporain. Sauf à voir une nouvelle sélection qui doit s’opérer pour différencier les vrais poètes des nouveaux exécutants aux ordres du nouvel académisme contemporain, il n’y a pas de doutes, en ce qui concerne Baudouin Oosterlynckx : il s’agit bien d’un artiste authentiquement libre.

Baudouin Oosterlynck / galerie du triangle bleu / Stavelot.

Le premier pas réalisé dans l’art contemporain au sujet de l’intégration du son comme élément plastique ne date pas d’aujourd’hui. Il faut inclure certainement des tentatives réalisées dans les années cinquante et soixante dans différentes pratiques sculpturales.

Les sculptures d’artistes réalisant des mobiles, tel Alexandre Calder ; Jean Tinguely – plus proche de notre propos – ; les sculptures cybernétiques de Nicolas Schöffer [3] et bien d’autres encore, permettent de cadrer une ère du son en sculpture. D’ailleurs bien souvent, le son produit n’était pas toujours le but recherché comme élément principal. Souvent les sculpteurs n’ignoraient pas que leurs réalisations, une fois terminées, produiraient du son à travers leurs mouvements ou leur mobilité produite par le vent. Mais ils acceptaient le hasard d’un tel résultat, ce qui conférait à leur production un élément supplémentaire de vie.

En ce sens, l’instrument de musique est certainement de loin la meilleure sculpture produisant du son à la portée de tous. Pas plus tard qu’hier soir, j’ai revu un film remarquable qui s’intitule « Tous les matins du monde » où les quelques phrases prononcées au sujet de la musique par Jean de Sainte Colombe – professeur janséniste de Marin Marais [4] – sonne comme un clairon dans le désert.

L’appropriation du son n’est pas non plus une affaire seulement d’art contemporain, puisque même les peuples les plus primitifs en termes de cultures, produisent du son métaphysique lors de rituel collectif. Leurs corps deviennent des caisses de résonnance, métaphores des esprits jaillissant de leurs âmes.

C’est bien là qu’il est plaisant de constater la difficulté de notre époque : à savoir pour quelles productions des arts en général devons-nous avoir de la considération ? Il me semble qu’il faut sans cesse faire des allez-retours dans le patrimoine pour voir à quel point la nouveauté est véritablement ancienne. Je veux dire par là qu’elle est au fond parfaitement liée à des principes qui n’ont jamais quitté l’homme depuis son avènement. Par là même, des artistes tels Baudouin Oosterlynck ne font que relier de main de maître l’époque la moins culturelle, au sens historique du terme d’un dévoiement bourgeois de la poésie, à la nôtre. Ce faisant ils retrouvent une voie qui pour être dans notre époque ne change rien aux sensations que devait ressentir un homme de la préhistoire quand celui-ci, si tant est qu’il fût le premier à tenter cette expérience, entendait pour la première fois le son produit par un coquillage, collant celui-ci à son oreille et découvrant la sensation qui en découle.

Baudouin Oosterlynck / galerie du triangle bleu / Stavelot.

Baudouin Oosterlynck demande au public de reproduire ce geste avec les sculptures sonores qu’il réalise. Le sens magique à une portée différente de nos jours, bien entendu. Mais je considère que bien que moins sensibles aujourd’hui à une magie que devait ressentir l’homme de la préhistoire, ce qui nous lie, c’est le mystère ou les sensations agréables que le son produit en parcourant le corps. En cela, l’art exprime l’humanité profonde que nous partageons avec l’espèce humaine depuis la nuit des temps.

Après ce préambule nécessaire, la vison des œuvres de Baudouin Oosterlynck peut nos apparaitre plus claire. Du moins, c’est cela que personnellement j’ai ressenti. Il s’agit par exemple de s’introduire dans une sculpture de bois avec du papier collé en partie sur ses armatures produisant un son enveloppant au sens propre le corps du spectateur présent en son sein. Cette expérience est simple, mais efficace. D’abord, la beauté de l’objet et les qualités des matériaux utilisés sont très parlantes dans le monde actuel. La simplicité de conception confère à l’architecture un rôle de bien-être relaxant perturbé par l’action des percussionnistes improvisant des rythmes aléatoires. Cela provoque en très peu de temps deux sensations opposées dans leur philosophie : le calme et la tension ondulatoire des sons produits. Les lectures possibles sont nombreuses. La nouveauté réside dans la différence qu’il y a dans la réception de la musique composée lorsque celle-ci est exécutée dans une salle de concert ou du son aléatoire produit dans une galerie d’art. La perception n’est pas la même, c’est un truisme, mais le fait que cela soit possible revêt une importance considérable. Car pour savoir la difficulté de pénétration de la musique contemporaine, autre que la musique populaire, dans les couches non spécialisée de la population, le risque est grand d’affaiblir les chercheurs en tous genres. C’est bien là que nous devons mesurer l’intérêt de lieux, en l’occurrence les galeries d’art, et  l’existence du travail effectué par les galeristes chevronnés. Car il est probable que pour lutter contre une musique contemporaine qui peine toujours à rencontrer son public, il reste néanmoins possible de considérer que dans le champ des arts plastiques, une chance est donnée au son d’avoir une pluridisciplinarité constructive et à partir de là, d’intéresser un public curieux de nouvelles sensations.

Baudouin Oosterlynck / galerie du triangle bleu / Stavelot.

À l’étage, une série de publications nous explique la genèse des différentes utilisations et des travaux de dessin nécessaires à la mise au point de ses sculptures. Il est intéressant de constater la poétisation de l’aspect scientifique que revêt l’œuvre de Baudouin Oosterlynck.

L’action culturelle est à la mode. Je ne souhaite pas personnellement que toute l’énergie créative soit instrumentalisée  par la société dans le but d’animations culturelles récréatives. Nous voyons fleurir des évènements sans cesse pilotés par des commissaires d’expositions plus ou moins bien inspirés. La banalisation de l’acte créateur est irrémédiablement, dans l’esprit de certains, au service d’une culture de masse. Cette idée ne devrait pas me déplaire, étant plutôt un homme de gauche, mais elle me paraît dangereuse par rapport à la métaphore janséniste qui consiste à privilégier les petits sentiers aux autoroutes réservées à l’art du pouvoir. Surtout il faut choisir entre le fast food ou le slow food. Toute notre société dérive dans une accélération de tous les évènements sociétaux, au point de n’avoir plus le temps de produire (de la vraie culture) métaphore d’une nourriture vitaminée qui nourrit correctement la population. Mais par contre cet affairisme (cuisine culturelle), produit les plus doctes animateurs es science en emballage. Nous serions bien avisés de n’avoir d’actions qui ne font qu’ajouter de nouveaux horizons à l’art, en plus de celles déjà existantes, plutôt que de déconstruire pour remplacer.

Baudouin Oosterlynck / galerie du triangle bleu / Stavelot.

Revenons à l’exposition. L’espace de la galerie est investi de différentes œuvres constituant à chaque fois une partie cohérente des recherches de l’artiste. Une salle propose une seule sculpture en l’occurrence celle dont je parle au début de cette chronique.

Une autre salle propose plusieurs sculptures de petite dimension qui constituent un ensemble parfait. Je ne peux pas vous faire partager ici les sons produits par les sculptures,  mais rien que la vision des œuvres ouvre un champ de perception plastique étonnant. La beauté des éléments, la poésie qui s’en dégage et surtout la sensation de vie qui se dégage des matériaux permettent tous les espoirs quant à la musicalité aléatoire de ces nouveaux supports sculpturaux. Un aspect des œuvres est aussi la volonté de l’artiste d’avoir conçu des sculptures qu’un seul individu à la fois peu actionner pour sa seule écoute, coupé du monde l’instant éphémère de son action. Il y a bien là déjà une subversion qui fustige notre monde consumériste qui n’envisage plus d’action sans son rapport à la rentabilité. Ce qui est rentable ici, c’est l’action de partage réalisé par l’artiste individuellement avec le spectateur acteur et interprète d’une musique improbable.

À  l’étage, on peut découvrir une sculpture constituée d’une grande vitre où il faut coller l’oreille pour découvrir les sons qui la traversent de part en part. Encore une fois nous avons ici une nouvelle expérience mentale de l’appréciation d’une rencontre différente avec la sculpture. Nous n’avons pas besoin de tourner autour de l’œuvre, mais nous pouvons le faire. Nous pouvons ne rien entendre si tel est notre désir. Nous pouvons ne rien voir et tout entendre. Bref, c’est l’ouverture et non la fermeture dans l’interprétation.

Un aspect non négligeable est la réconciliation de la science ou du moins d’une forme élémentaire de science jouée et de poésie plastique. Panamarenko dans son style de recherche fait partie de la même famille d’artiste. Toujours avec cette différence dans la pratique artistique en Belgique entre l’expressionnisme et le surréalisme, pour faire simple. Toutes les sculptures sonores créées par Baudouin Oosterlynck semblent être conçues comme une recherche de machinerie positive. Tout son effort consiste à être dans son action créatrice au service d’une découverte simple d’une forme de jeux à usage unique. Chaque personne intéressée à découvrir le résultat des recherches sonores de Baudouin Oosterlynck a la possibilité de le faire d’abord pour sa seule expérience.

Une petite salle recueille les dessins réalisés avec du fil de cuivre, là encore l’artiste fait corps avec l’envie de changer les règles du jeu et détourner ainsi une pratique en la re-fécondant avec un postulat de dessin-sculpture. Cela me touche plus particulièrement et rejoint un aspect de mon travail artistique au sujet de l’ornithorynque[5], mais cela est une autre histoire…

Baudouin Oosterlinck / galerie du triangle bleu / Stavelot.

Il ne s’agit pas de complexité non accessible au public, ni ne veut dire que son art est élitiste d’un point de vue aristocratique. Car dans son cas il s’agit plus d’un jeu intime qu’il noue avec des spectateurs qui souhaitent réellement toucher et sentir la pensée qui constitue la moelle créatrice de son œuvre artistique.

Sur ce point, il faut en finir avec cette idée que l’art est une pratique réservée à des élites intellectuelles ou des individus initiés à des savoirs qui doivent être par essence d’un haut niveau de complexité. Certains artistes contemporains, je pense ici à Wim Delevoye [vi] par exemple, prétendent faire de l’art pour le plus grand nombre. Je ne leur conteste pas cette affirmation, ils doivent être sincères, tous les artistes un peu sérieux sont de facto sincères. Bref, cela me semble participer de postures dialectiques qui fleurissent pour accréditer l’idée simpliste que l’art contemporain est une solution à toutes les dérives du passé dans le milieu des arts plastiques. L’art actuel résoudrait à lui seul les deux mille ans de culpabilité judéo-chrétienne qui a influencé l’art jusqu’à notre époque moderne. Certains intellectuels et artistes contemporains ne souhaitant rien moins que la disparition de toutes les religions, quelles qu’elles soient. Absurde intolérance primaire.

Soyons clairs, je suis partisan d’une société laïque et républicaine. J’ai choisi comme emblème personnel l’ornithorynque, métaphore d’un cosmopolitisme idéal et sociétal. Je partage donc l’idée que sans pour autant refuser d’accepter le pluralisme créatif, nous ne soyons pas obligés d’accepter n’importe quoi comme élément essentiel de culture. Que nous ne devons pas renoncer à des savoirs difficiles d’accès faute de temps pour les enseigner! Ou de devoir renoncer à des « Îles de poésie », sous prétexte que le monde change et que la mode n’est plus à « l’essentiel indispensable »,  mais au « superficiel non indispensable ».

Je ne fais pas mien ce proverbe de Juvénal : Beati Pauperes Spriritufact.

Dario CATERINA.

[1] Baudouin Oosterlynck /  né en 1946 à Kortrijk (Belgique)

[2] Galerie du triangle bleu / Stavelot- Belgique / Galerie d’art ou le choix des artistes force le respect par la qualité du propos.

[3] Nicolas Schöffer (Schöffer Miklós) / Sculpteur et plasticien français d’origine hongroise. Il est né à Kalocsa en Hongrie, le 6 septembre 1912, et mort à Paris, le 8 janvier 1992.

Les principes défendus par Nicholas Schöffer sont assez simples : il justifie sa liberté de création par l’usage des nouvelles technologies qui sont à notre disposition dans notre monde contemporain. Il considère les outils des sculpteurs du passé comme non nécessaire à sa pratique et que de nouveaux médias correspondent plus à sa créativité dans le choix qu’il fait des nouvelles technologies cybernétiques. Pour résumer sa position : pas de nostalgie du passé, tournons-nous résolument vers le futur plein de promesses.

[4] Marin Marais / Né à Paris le 31 mai 1656 au sein d’une famille modeste –  Tous les matins du monde, est un film français réalisé par Alain Corneau sorti sur les écrans en 1991 il est tiré d’un roman éponyme écrit par Pascal Quignard.

Ce film m’a beaucoup plu par la référence qu’il réalise autour de la nécessité d’une certaine rigueur pour obtenir un haut niveau dans la pratique artistique que l’on choisit. Cette altitude, on ne l’obtient que lorsqu’on acquiert la patience de dépasser les honneurs. Le jansénisme sévère tient lieu de chape philosophique au déroulement de l’apprentissage du jeune Marin Marais. Cette histoire est pour moi une métaphore parfaite du temps qui n’est plus l’élément essentiel dans notre époque pour parvenir à être en phase avec sa pratique.

[v] Ornithorynque / J’ai choisi cet animal comme métaphore de ce que je tente de réaliser dans mon travail de plasticien. Son bec de canard, sa queue de castor et ses pattes palmées en plus de sa qualité de mammifère en font un animal pluridisciplinaire. C’est ce qui me permet de relier une réussite de la nature à ma volonté de composer mes œuvres en interpénétrant les média tel le dessin avec la peinture, la peinture avec la sculpture, la photo et la peinture.

[5] Wim Delevoye / Artiste plasticien belge né à Wervik (Flandre-Occidentale) en 1965. Célèbre, en autres pour sa machine à déféquer, pourfendeuse de notre société consumériste et le poids écologique de notre mode de vie.