EDITO : De l’écologie à l’écologisme / Samuel Zarka

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Spinoza a écrit : l’idée de cercle n’est pas circulaire.

Actualisons : l’idée d’écologie n’est pas verte.

Que reste-t-il de l’idée d’écologie une fois décorrélée de sa couleur politique ? On le voit, une question de philosophie. C’est son expression chromatique qui implique l’économique, le social, le politique. Pour déplier et comprendre ces différents enjeux, j’ai interrogé une pluralité de personnalités aux prises, à différents titres, avec la préoccupation écologique.

Mais pourquoi consacrer un dossier de plus à l’ « écologie », lorsque ce thème connaît depuis plusieurs mois une propagande médiatique et idéologique forcenée? Sans doute y ai-je été incliné du fait même de cette vague déferlante. Cependant que suivre l’axe de l’écologie permet de proposer une reconstitution générale de l’espace politique français en ce jour.

Toutefois, avant de présenter les contributions, précisons pourquoi aucune d’entre elles ne porte strictement sur la « question » du réchauffement climatique.

I – Retour sur la « question » du réchauffement climatique

Qu’une forêt brûle, qu’un tremblement de terre ait lieu à Haïti, suppose-t-il d’en passer par une vérification scientifique pour savoir s’il y a lieu d’envoyer des secours ? En l’occurrence, l’urgence va de soi : la catastrophe s’est produite. Le réchauffement climatique est-il de ce ressort? Ou s’agit-il de prévention? Voire de prédiction? Mais précisément, rétorquera-t-on, l’ « urgence » climatique porte sur une situation dont la gravité est en cours d’approfondissement constant. — C’est là qu’est le sophisme, lequel ne porte pas sur la validité d’un principe préventif. C’est là qu’est le sophisme, où l’irrationalité se loge.

Les tenants, parfois médiatiques, de la thèse du réchauffement climatique se réclament de LA science. Des experts surgissent. Un débat a lieu, les médias le mettent en forme : le mot « climato-sceptique » apparaît. La division entre ses supposées promoteurs et leurs adversaires est consacrée [1]. Mais qui, parmi ceux qui soutiennent l’une ou l’autre thèse, a les moyens de vérifier les résultats des experts du GIEC ? Quelqu’un répond : plutôt que de mentionner les relais journalistiques, il n’y a qu’à écouter les dites experts. Au nombre de 2000! Ils appuient la thèse du réchauffement! — Y a-t-il des contestataires parmi eux ? — Certes, mais ils sont minoritaires, et surtout marginaux et louches… Caractères dont Le Monde a consacré début mars une pleine page à la démonstration [2].

Une validation en deux temps s’explicite ici :  elle remonte des relais médiatiques aux scientifiques, puis, parmi eux, évince les moins « probes ». Dans l’analyse de cette logique, il serait regrettable de considérer les relais médiatiques comme des seconds couteaux. Toutefois, il faut commencer par examiner le point de référence de la frénésie catastrophiste : LA science.

La science, physique en l’occurrence, est constituée d’un corpus de modèles d’interprétation qui évoluent, se transforment, se complètent, et, de loin en loin, se substituent les uns aux autres. Quand un nouveau paradigme est formulé, qu’il permet d’interpréter plus simplement un certain nombre de phénomènes, il se substitue à celui qui était jusqu’alors en vigueur. Conclusion : LA science n’existe pas, ce qui existe c’est « une » science physique, historiquement constituée, proposant des interprétations sur des objets qu’elle définit comme siens, et dont les hypothèses sont validées sur la base d’expérimentations. Mais une vulgate imbue de positivisme fait fi de cette humilité, érige le scientifique en relation immédiate au vrai. Elle se réclame de cette idée de « la science » pour affirmer une thèse, dont elle serait bien en peine de rendre compte autrement que par l’argument d’autorité — c’est-à-dire en niant la médiation de l’hypothèse.

C’est à ce point qu’arrive à toute vitesse un complément de thèse : celui de la probité scientifique. La personne du scientifique est entourée d’un halo de pure abnégation et désintéressement dans la tâche. Cependant, et sans intenter de préjudicier à la qualité professionnelle de quelque météorologue que ce soit, je ne vois pas en quoi, dans le cas présent, ce désintéressement pallie l’inversion logique qui consiste à partir d’un résultat — le réchauffement — pour l’étayer, plutôt que de partir d’un fait tangible, pour en proposer une interprétation. Alors nous retombons sur la première critique que j’adresse à la « question » du réchauffement : si l’on est sur le terrain de la science, ne confondons pas hypothèse — du réchauffement — et réalité, d’autant moins dans le flou actuel touchant à ses causes présumées. En outre, la science n’est pas exempte d’idéologie : parfois même, elle ne trouve plus dans les phénomènes que ce qu’elle y met. Sans mauvais esprit, citons la forme du crâne ou du nez des juifs scientifiquement prouvée avant-guerre. En l’occurrence, le résultat était posé d’avance.

Quelle est la logique du dispositif de savoir et de pouvoir, médiatisé par la question du réchauffement climatique en particulier, par l’écologie en général, qui est en cours de constitution ? Ce dossier voudrait contribuer à répondre à cette question. Identifier les déterminations favorables à l’assomption de l’écologie comme idéologie de masse, comprendre les ressorts qui font l’âpreté des discussions qu’il suscite. Car le « réchauffement climatique » tend à s’instituer comme débat central dans un contexte économique et social saturé de contradictions. Pendant qu’on délocalise, la « question » du réchauffement envahit les ondes. Et comme  l’affaire Dreyfus, mieux vaut éviter d’en parler à table.

II – De l’écologie, et de sa pertinence politique

En deçà de son expression médiatico-scientifique actuelle, l’écologie gagnerait à être interrogée du point de vue des conditions immédiates d’existence et de travail. Cette écologie là est tacite. Sur ce sujet, Florence Boucard, directrice des Ressources Humaines dans une grande entreprise, a bien voulu répondre à mes questions, au cours d’un entretien publié ici en trois parties. D’abord, elle rend compte de l’entreprise considérée comme environnement. Puis son propos porte plus spécifiquement sur son métier : les Ressources Humaines. Vient ensuite l’intégration de l’idéologie écologiste par l’entreprise. La troisième partie de l’entretien y est consacrée.  C’est également sur cet axe que j’ai interrogé Adrien Bullier, Responsable du Développement Durable à l’Immobilière des chemins de fer. Au cours de notre entretien, il a abordé la genèse du développement durable, puis le type de métier que cela implique, avant de revenir sur l’articulation entre secteur public et privé en tant que médiateurs de ce développement. Pour compléter cette approche de l’écologie dans l’entreprise, Marcel Djama, chercheur au Cirad [3], livre son analyse des relations entre grandes firmes et ONG. Enfin, Caroline Champion, exploratrice de saveurs, propose une reconstitution des logiques de production et de consommation des produits « bio » en France.

A une échelle plus large, la thématique écologiste ne saurait être pensée en dehors du contexte actuel de crise économique. Le philosophe Dominique Pagani d’abord, le blogueur politique Malakine ensuite, reviennent sur la cohérence politique de la corrélation entre crise économique et environnementale. Pour sa part, le philosophe et historien Marc Angenot propose d’étayer la compréhension du thème écologiste à partir du ferment culturel occidental. Enfin, Wilfried Pennetier, économiste et ancien CGTiste, met en question la thèse faisant de l’écologie une doctrine en conflit diamétral avec la revendication syndicale, pour envisager la pertinence de leur convergence.

En somme, le présent dossier a pour enjeu de présenter les différentes facettes de la question écologique, considérée selon sa configuration idéologique actuelle. Au lecteur de nourrir sa réflexion politique à partir des documents produits, afin d’articuler son expérience politique au temps présent.

Samuel ZARKA

[1] Notons à ce propos que Claude Allègre a pour principale défaillance médiatico-argumentative son absence de charisme. Quoi qu’on pense du personnage et de ses thèses, force est de reconnaître que ce défaut — tragicomique — est décisif.

[2] Voir la réponse de Stéphane Foucart, « Le cent-fautes de Claude Allègre » au dernier livre de l’intéressé, L’imposture climatique (Plon, 2010), sur lemonde.fr.

[3] Cirad : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.

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