01 – « L’abécédaire » – Gilles Deleuze / A comme animal
02 – « La cruauté » – Antonin Artaud
03 – « Moby Dick » – Herman Melville / The Death of Achab
04 – « Ursonate » – Kurt Schwitters
05 – « The birds » – Alfred Hitchcock
06 – « Passionnément » – Gherasim Luca
07 – « Gesang der Junglinge » – Stockhausen
08 – « Interview with a cat » – Marcel Broodthaers
09 – « The Shining » – Stanley Kubrick
10 – « Solo » – Samuel Beckett / Performed by David Warrilow
11 – « Discs » – Marcel Duchamp and John Cage / music by John Cage
12 – « Okanagon » – Giacinto Scelsi
13 – « Spiral Jetty(excerpts)1970 » – Robert Smithson
14 – « Mutations » – Jean-Claude Risset
15 – « The American Gift » – Vito Acconci
16 – « One million years » – On Kawara
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Premières écoutes les : Jeudi 19 novembre à 12h,18h, minuit, 6H puis jusqu’au 26 novembre, mêmes horaires
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ENTRETIEN
Laurent Chambert, Dominique Balaÿ novembre 2009
Voici ma contribution. Je ne ménage pas la notion de playliste mais cela tu le sais déjà. Il y a des enjeux et j’ai essayé de donner des pistes pour poursuivre une réflexion. Plutôt que d’expliciter mes sources ou références j’ai choisi l’écriture. Il me semble que c’est une façon de travailler la logique même mise en œuvre. Il s’agit d’idées murement réfléchies. Je suis curieux de connaître tes impressions et les questions qui pourront les accompagner.
L.Chambert
DB : Comment abordes-tu d’une manière générale les sollicitations? On sent très fort chez toi le besoin de densité dans l’échange, j’allais dire quelque soit le lieu, la situation et même l’interlocuteur…
LC : La sollicitation est souvent comme l’irruption ou l’imprévu, elle bouscule la vie. Je lui accorde toute mon attention avec en retour la nécessité d’exprimer mes préoccupations accompagnée de l’évaluation de ma capacité d’écoute et de compréhension. Répondre à une attente et simultanément l’entraîner dans l’échange. Je n’aurai pas de réponse définitive, seulement des propositions, plus souvent des questions. Echanger conduit au mouvement et permet d’avancer ensemble. Les communications qui organisent notre vie sociale s’érodent littéralement pour plus d’efficacité, de confort, de « retour à l’accueil appuyez sur étoile ». Influentes, elles érodent aussi notre besoin d’investir l’espace de la parole, de le construire, entretenir, réinventer. L’absence de pensée peut être occupé par un simulacre de pensée! Le discours ambiant ou dominant ou tout ce qui relève du banal est prêt à l’emploi. Un langage réduit à sa dimension fonctionnelle n’offre plus les prises suffisantes au développement de l’imaginaire. La parole active, articule et transforme en permanence notre pensée et plus tard sa forme écrite. La singularité, une ligne individuel, un événement accède par la voie du langage au collectif tout entier en devenant un sujet d’échange, une tentative de description, une réflexion. Toute contribution intensifie et participe à la mise en relation des hommes, agrandie l’étendue d’une culture. La parole est ce que l’on voudra bien risquer, mettre en jeu, vivre d’une certaine façon.
DB : Lorsque je t’ai sollicité, tu m’as tout de suite mis en garde contre le jeu un peu vain des préférences et le piège de la playliste qui ne produit que de l’anecdotique, un vague environnement sonore : quel intérêt vois tu à participer à un projet comme celui de webSYNradio?
LC : Parler de culture c’est peut être avant tout se placer et se définir au sein d’une société. Cela me semble explicite pour une playliste. Dans un sens, elle rend possible une participation sans implication ou engagement vrai, dans l’autre, elle emportera la nécessité d’un dépassement. Les choix peuvent s’établir sur un mode collusif et devenir anecdotiques par simple redondance, décalque. La playliste sera une évaluation de l’aptitude à ce conformer à la grille des valeurs établies, la démonstration d’une capacité à les distinguer. C’est un peu comme l’image d’un homme qui pose pour une photographie officielle devant une bibliothèque (sa collection de « titres »). La playliste est un ensemble, elle pose une limite. Plusieurs nuances la distingue d’une liste ; la nécessité d’une durée pour être jouée dans un laps de temps raisonnable, celle de l’attention et l’association à un moyen technique de diffusion. L’écriture d’une playliste engage la nécessité de remonter, contrarier, son inclination. Les systèmes sociaux tendent à substituer la forme abstraite et individuelle de l’identité par des contenus concrets (surdéterminés, surproduits, aux contours nets et segmentés). La sensibilité trouve ainsi sa consistance et devient un objet évaluable avec l’aide de l’identique. Elle devient l’objet d’un contrôle et boucle l’individuel indéfiniment sur le collectif au collectif. La constitution d’une playliste musicale idéale est déjà proposée sur Internet. Le principe de ce service suppose que vous chercherez à écouter ce qu’écoutent tous ceux que vous estimez vous ressembler ou à qui vous voudriez ressembler. La référence communément partagée devient l’expression de son adhésion à un groupe ou une époque. Et bien pourquoi pas puisqu’il tient à chacun d’assumer la responsabilité d’avoir lu, entendu, vu, les contenus désignés par les intitulés. La tendance est dans l’existence d’une possibilité supplémentaire de relégation, de mise à distance, un nouvel écran de fumée. Sur une playliste, les contenus se présente d’abord comme des objets, des enveloppes qui pourront être désignées, nommées, référencées, comparées, validées, classées, hiérarchisées. A l’extrême, vidée si le gain de place est nécessaire, la capacité dépassée. Ici on se reconnecte à l’abyme d’une liste de liste, de liste, etc. A défaut de posséder un original, nous pouvons nous saisir d’un double, d’une copie, d’une reproduction, d’un pirate, imprimé, audio ou vidéo. Un penchant de collectionneur nous conduira à placer l’importance de l’acquisition dans la détention même du titre devenu trophée sur l’index d’une géographie personnelle, d’un catalogue (le name dropping, le réseau : logique de possession vs logique d’appartenance). Nous vivons entouré de livres, disques ou cassettes dont nous n’effleurons plus que la tranche. Nous avons tous l’expérience de la déambulation dans les rayons d’un libraire ou disquaire avec des espaces qui à la différence de la bibliothèque sont coupés de l’usage des objets présents. Vous disposerez d’un aperçu, d’une écoute et l’action restreinte de l’achat. Dans tous les cas « je serai mieux chez moi pour lire ce livre, écouter cette musique, trop de bruit, de lumière, de mouvement, manque d’espace, trop de promiscuité ». Inflation générale, le culturel est investi par l’industrie. Nous sommes entourés voire débordés et la maîtrise de repères s’avère opérante, socialement efficace et valorisante. Cette maîtrise est du côté de l’image, de l’artifice ou du masque, voir l’arbitraire d’une discrimination. Une playliste participe de ce mouvement qui nous conduit à l’uniformisation de penser, de sentir, d’être. Déplacement général, évolution, il s’agit d’un mode de relation sociale et l’inclusion est inévitable. Il s’agit alors de mettre à l’épreuve un mécanisme, une solution pour se départir. La playliste n’est pas l’exercice de sélection qu’il parait être mais la nécessité d’un dépassement, l’objet qui doit lancer sa discussion et dont pourra s’extraire la possibilité d’un partage, d’une effectivité, d’un devenir. Le projet webSYNradio ouvre cette remise en question, il ouvre l’espace d’un débat à venir. J’ai récemment mis en pratique la notion de programmation avec le projet « Un double persistant » à La Société de Curiosités, Paris. Il s’agit d’un ensemble constitué de copie d’extraits d’oeuvres trouvées sur Internet. Isolés, les fragments sont marqués par l’altération, l’incomplétude. La diffusion successive des séquences s’accompagne du traitement en temps réel de la piste sonore. En conservant les sources originales, le son des voix, les dialogues, les musiques, infiltrer une ligne de plus, une voix. Comment en quelque sorte marcher de concert en proposant à l’assistance un déplacement par le suivi de ma propre écoute. Rejoindre les sons déjà inscrits, improviser un être avec et finalement ensemble. Le programme de la soirée, une playliste développée, déployée, devenant l’espace d’un jeu, le temps d’une partie musicale.
DB : Les titres que tu as choisis ont l’air sur le papier de former une séquence, une constellation, autour de différentes figures? Peux-tu nous préciser ce qui a guidé ton choix?
LC : La succession amoindrit la puissance d’un seul au profit de l’ensemble. J’ai envisagé la possibilité de ne faire qu’un seul choix en le répétant à l’échelle de la durée d’une playliste. Une mise en boucle par la duplication avec l’idée du glissement comme une fuite par la répétition et peut être finalement la fêlure. J’ai amené ainsi une autre expérience et l’idée de l’onde. Les titres présentés sont pour moi l’épreuve de la sortie. Les oeuvres auxquelles ils appartiennent sont vastes et complexes et je n’en prétends pas à la maîtrise. Je reprends des rencontres associées d’une façon ou d’une autre par l’expérience de ce que je nomme une échappée à moi même. Il n’y a aucune modification interne des sources, éventuellement des cadrages temporels. Une projection sur l’ensemble ne peut tout recouvrir, elle ne s’inscrit pas, elle peut néanmoins s’éprouver. Les séquences articulées déploient une durée qui sera animée d’une grande variété de vitesse, une infinité de nuances. Il y a la possibilité d’un espace de partage, le passage sur toute une longueur, un plan pour l’esprit, imaginaire, un plan sensible, une mise en résonance, la communion de la sensation d’un ensemble. Une playliste décrite morceau par morceau amène inévitablement la profusion mais aussi ce qui annulerait ma propre contribution. Chacun assure une réception, entreprend un voyage, décide de ce qu’il entend et retient. Et c’est de cette expérience que je voudrais échanger ultérieurement.
DB : La radio n’est plus le premier vecteur de diffusion pour la musique : la musique est partout (web, installation, performance, concert, environnement) , comment perçois tu ce phénomène? Comment y participes-tu?
LC : La musique est partout et nous oublions ainsi qu’il s’agit pour chaque production d’un effort même minime, d’un arrachement, d’une invention, d’un souffle. La profusion fabrique un cocon audio, un habillage sonore, un design pour l’oreille. Il y a un réel plaisir à se sentir dans l’action et le stimuli auditif procure cette impression. La profusion fait suite à la mise au point de moyens techniques efficaces pour la transmission et l’enregistrement. Elle découle aussi de la nécessité de produire constamment de nouvelles formes. Nous tolérons dans notre environnement la constance d’une image ce qui n’est pas le cas pour un phénomène sonore. Notre oreille réclame naturellement la diversité et un son continu devient vite fatigant, intrusif. Il est comme trop bien entendu et par conséquent perceptible, accaparant. A l’intérieur de ce qui est devenu un environnement culturel et sonore, ma production personnelle fonctionne un peu comme l’idée d’une fausse note! Je n’éprouve pas le désir de jouer la partition!
DB: Où en es tu dans ton exploration sonore, notamment dans ce que tu articules entre image et son? J’ai ici presque envie de parler de réalisation plus que de performance.
LC : Je travaille actuellement au développement du projet «Et si nous cessions d’avoir peur» à La Société de Curiosités à Paris. J’organise un contexte complet enfin qu’il puisse trouver une autonomie tout en conservant des liens continus avec un système de diffusion, un média, en l’occurrence télévisuel. Ce n’est pas une proposition critique, il n’y a aucune dualité mais plutôt l’histoire d’une coexistence avec la respiration spatiale et temporelle des deux configurations, d’un côté la télévision et sa réception usuelle, de l’autre l’émission d’une réappropriation par sa transformation même. Il s’agit avant tout d’une invention à vivre en action. Je peux néanmoins décrire les moyens mis en œuvre. La télévision est constitutive de notre environnement. Elle s’inscrit dans l’espace privé de façon claire en fonctionnant comme une fenêtre sur le monde. Et dans l’espace public? Objet de la convoitise, des pouvoirs, elle assure une visibilité socialement optimisée. Le politique va jouer une partie de sa représentation via les plateaux, sujets et débats. Elle est comme une arène où peuvent s’affronter les idées. On remarque néanmoins que la parole est donnée aux personnes en assurant déjà une certaine maîtrise, aux professionnels, spécialistes, éventuellement bavards ou inoffensifs, à toute parole ayant comme gagné une dimension de « représentation ». Son fonctionnement s’établit sur une relation puissante entre sources de pouvoir et projet général choisi pour notre société (le brassage permet l’indistinction de la source du contrôle, le mouvement est sa permanence). Elle a une grande capacité d’influence, elle fédère efficacement, elle exprime et impose sans violence apparente les modèles à suivre. Pour toutes ces raisons son accès en qualité d’individu, de sujet, fera l’objet d’un examen, d’un préalable, d’une identification. Elle conserve la nature d’un espace clos sur lui même, il est nécessaire de franchir un seuil, le pas d’une porte, d’un studio, il est nécessaire d’être invité, de s’asseoir à la table. La clôture est un des aspect qui peut la différencier du web. La télévision demeure l’espace par excellence du contrôle. Mais tout cela vous le savez certainement déjà! Nombreux sont ceux qui s’en accommoderont. Il suffit d’obtenir une admission ou audition (comme à la Cour sous l’ancien régime), éventuellement de se contenter d’être parmi le public invité à venir applaudir sur commande ou de participer à des jeux qui vous relèguent au rang de l’inconsistance. Les cinq minutes pour tous, la permanence pour peu, le spectacle de la vie en apnée. Il ne s’agit pas de se contenter d’une critique, d’attendre une éventuelle entrée en prenant place dans la file d’attente, d’envoyer une réclamation, d’attendre l’action d’un vote, d’espérer une sanction. Il s’agit dès à présent de faire l’épreuve de ce qui fabrique la télévision elle même, de déconnecter l’imposition d’un sens au profit de la matière première brute et à nouveau malléable, détachée, acceptée. Elle devient disponible pour une nouvelle configuration, disposition, aménagement. Elle rend l’appropriation du temps et de l’espace, l’expérience, l’imprévisible, le spontané, l’improvisation, le sensible.Avec «Et si nous cessions d’avoir peur», le public est invité à faire une expérience de réception. Les deux configurations (réception ou émision) sont distinctes et elle peuvent alterner à tout moment. L’ouverture est lancée avec le direct du journal de 20 heures. Le choix d’une source télévisuelle s’étend à toutes les chaînes disponibles. L’image est projetée sur un écran, il marque la limite entre deux espaces ; celui que l’on voit à distance principalement occupé par le présentateur et la salle ou s’installent les spectateurs. La disposition des sièges joue la frontalité d’une salle de projection cinématographique ou la disposition habituelle autour de l’objet télévision. L’écran centralise clairement l’attention. Le son est diffusé dans l’ensemble de l’espace et de façon homogène. Il est distribué à partir d’un point, contact, source d’un flux, pour rayonner et se répandre dans l’espace. La télévision ne produit pas de son dans le dos de son spectateur.
Au bout d’un temps, la résolution de l’image change ; il ne s’agit pas d’un zoom, le cadre général ne se modifie pas. Il y a seulement un nombre moins important de pixels pour assurer la définition entière de l’image. Le visuel devient par conséquent abstrait (illisible) tout en conservant la vibration du flux qui continue à être transmis. L’apparition d’un damier géométrique de différentes couleurs et sa simplification restent proportionnelles à la transformation en temps réel du son. La source audio est transformée, elle devient la matière même d’une proposition musicale originale. Sa diffusion se disperse en plusieurs sources, à partir de plusieurs haut-parleurs. Il ne s’agit pas d’une déformation mais comme précédemment décrit, d’une reconfiguration. L’image par la stabilité de son cadre ménage l’impression d’une constante ambiguïté. On est placé devant l’impossibilité de savoir de quel côté elle se trouve vraiment : une projection au fond de l’oeil ou bien l’imagination projetant à travers ce dernier en raison de l’alternativité, le retour potentiel de l’un ou l’autre. La musique s’extrait d’une contingence qui pourrait la lier à l’image. Elle produit à son tour ses propres durées, rythmes, couleurs, respirations, intensités, silences. L’espace se retourne littéralement et il contient à nouveau ce qui se passe. Sa mesure retrouve l’étalonnage tangible des corps présents. Ce contexte libère une possibilité à l’improvisation. Il s’agit de faire quelque chose avec ce qui se trouve là, ce que l’on a amené avec soi, un instrument de musique, la voix, son expérience, une identité sans les signes, en action.
Images LC/ Lien : Et si nous cessions d’avoir peur / confrontation (3) – Laurent Chambert
http://www.youtube.com/watch?v=TgWzKyzomLE
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ELEMENTS
Laurent Chambert, artiste, né le 8 janvier 1967 à Saint Etienne.
http://www.laurentchambert.com
http://www.lastfm.fr/music/Laurent+Chambert
http://www.theothercolors.com