L’oreille « totale » de l’analyste / Jeanne Marchand

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Sans titre # 20 / Elena Andreyev

Le psychanalyste n’écoute pas seulement avec son oreille, il écoute avec tout les sens, avec tout  son corps.

Si la cure psychanalytique est essentiellement une cure de parole, et le dispositif divan/fauteuil destiné à atténuer ou supprimer  la motricité et la vue, afin de favoriser la représentation et la verbalisation, il n’en reste pas moins que tous les sens sont en action, du côté de l’analysant et du côté de l’analyste. Et si le but idéal est l’interprétation mutative, celle-ci doit être nourrie et rendue possible par bien d’autres éléments que ceux amenés par le langage parlé et entendu.

Chez l’analyste et chez l’analysant, tous les sens sont en action, confondus en une poly-sensorialité qui rappelle celle des premiers temps de l’existence du sujet. Qui rappelle et qui peut ramener l’analysant à ces premiers temps,  par la régrédience, au delà des souvenirs, à des traces mnésiques, traces perceptives de ce qui paraît complétement oublié, irreprésentable, mais qui subsiste encore. Tous les sens sont à l’œuvre:  non seulement l’œil entend, mais sont convoqués également l’odorat, le « ressenti intérieur », les sensations tactiles, le corps entier qui fonctionne  comme une oreille, une sorte d’oreille « totale ».

Ce retour possible à une sorte d’indistinction originaire – indistinction sujet/objet, affect/représentation, soma/psyché- peut permette à l’analysant d’accéder à cette partie de l’être qui ne peut se dire, mais pourra peut-être en trouver le chemin. Et à l’analyste d’accompagner l’analysant dans cette régrédience qui sinon ne pourra pas se produire, analyste qui bien sûr doit laisser en lui ce mouvement se faire -malgré le vacillement identitaire qu’il provoque en lui-  sans s’en défendre, mais en toute conscience et maîtrise.

Le corps de l’analyste, une grande oreille ?