1 – James Burton / Elvis Presley – As Recorded at Madison Square Garden – RCA / BMG 2 – James Burton / Elvis Presley – Elvis Live in Las Vegas – RCA / BMG 3 – James Burton / Elvis Presley – That’s The Way it Is – RCA / BMG 4 – James Burton / Elvis Presley – Raised on Rock – RCA / BMG 5 – James Burton / Elvis Presley – Moody Blue – RCA / BMG 6 – James Burton / Elvis Presley – Aloha from Hawaii Via Satellite – RCA / BMG 7 – James Burton / Elvis Presley – On Stage – RCA / BMG 8 – James Burton – The Guitar Sounds of James Burton – A&M records 9 – James Burton / Elvis Presley – Recorded Live on Stage in Memphis – RCA / BMG 10 – James Burton & Ralph Mooney – Corn Pickin’ and Slick Slidin’ – Sundazed / EMI 11 – James Burton / Gram Parsons – GP / Grievous Angel – Reprise Records 12 – James Burton / Emmylou Harris – Elite Hotel – Reprise / Rhino 13 – Larry Carlton – Sleepwalk – Warner Bros. 14 – Cornell Dupree / Donny Hathaway – Live – Atlantic Records 15 – Pee Wee Crayton – Things I Used to Do – Vanguard Records 16 – Don Rich & the Buckaroos – Country Pickin’ / The Don Rich Anthology – Sundazed / EMI 17 – Wah Wah Watson – Elementary – Sony Music Media 18 – Ted Nugent – Double Live Gonzo – Epic Records 19 – ZZ Top – Fandango – Warner Bros.
20 – Mike Stern / Steps Ahead – Live in Tokyo 1986 – NYC Records
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ECOUTER
La playliste de Noël Akchoté est proposée en mode lecture (pas de diffusion sur webSYNradio). A charge pour chacun de se procurer les albums…
Lire la partie 1 de l’entretien pour comprendre ce qui motive ce choix éditorial.
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ENTRETIEN
PUISSANCE DE LA MUSIQUE / DES PRATIQUES, UN QUOTIDIEN (# 3/3)
Noël Akchoté, Dominique Balaÿ, octobre 2009
A l’occasion de sa participation à webSYNradio, Noël Akchoté a bien voulu se prêter à un entretien pour « servir » ses playlistes. L’entretien s’est déroulé par écrit, au gré d’un échange de mails très chaleureux courant octobre 2009. Il a donné lieu à une publication en trois parties (correspondant aux trois playlistes, lire la première partie , lire la deuxième partie ) dans la revue Droit de Cités tout au long de 2010.
Voici donc la troisième et dernière partie de l’entretien… DB
Dominique Balaÿ » Pour s’entendre soi même : pour se retrouver ? Ou pour s’entendre soi même « autre ». L’expérience de l’altérité est-elle possible en musique ?
Noël Akchoté : Non, sans même aller jusque là, juste pour s’entendre au sens le plus pratique, premier, simple (simpliste) du terme – » Un Homme & Une Femme : Je ne dis pas non, un homme et une femme peuvent très bien s’entendre, du moins peuvent-ils s’entendre crier, en tant que tels. » (Lacan) – tout à fait dans ce sens là de l’entendement. D’ ailleurs si je dis cela c’est parce qu’ensuite dans ta question, la seule véritable altérité, absolument nécessaire, radicale, c est pour moi celle des hommes et des femmes. Irréductible, centrale, … Une femme n’est pas un homme, elle peut être avec, contre, sans, mais elle ne peut pas plus que l’homme être l’autre. C’est tout l’intérêt de la « chose » quand-même. Tout ce que deux êtres dissemblables peuvent tenter de commun, de communauté, d’unique à leur état d’altérité « partagé ». L’altérité de soi à soi c’est au mieux la schizophrénie («je suis un schizophrène qui a réussi, je n en ai pas de symptômes » – Lacan encore), c’est sinon juste de la cuisine interne, si ça permet des choses tant mieux pour l’individu, le plus souvent ça ne permet pas grand chose, ça bloque surtout je crois. L’artiste n’est « premier degré » que pour les diverses autorités universitaires, de presse, historiens, sociologues, critiques, … mais pour lui il en va tout à fait autrement, c’est net à la pratique (d’où mon titre de Quotidiens et Pratique). L’artiste est au contraire totalement multiple d’être justement entièrement un. Sans cela c’est l’asile immédiatement, ça ne serait pas un instant soutenable comme position si ça devait être une expérience premier degré. – S’entendre soi-même veut dire ici que ces quotidiens de travail de l’artiste lui serve justement a fabriquer des objets qu’il avait envie d’entendre, de voir, de lire au premier chef. C’est son propre et premier client, auditeur, lecteur. Et pour cause, une œuvre (il ne s’agit que de cela, un artiste produit des œuvres, rien d’autre, le reste c’est du folklore pour hagiographes ou gens de mauvaise foi), est un objet, une chose (un It en anglais, something, a thing).Si c’est un véritable artiste, cette chose (une crotte, un bon mot, une mélodie, selon …) vaut précisément pour toutes et tous. Cela a une certaine valeur universelle, cela dit justement quelque chose des autres, aux autres.
DB: Toujours cette question de la puissance, qui se pose peut être autrement : ce que peut le cinéma, ce que peut la musique, ce que peut la poésie, ce que peut la philosophie, est-ce la même chose. J’ai l’intuition que non ?
NA : Le terme de puissance, de pouvoir, de force ici, je ne le comprends pas en fait (je fais aussi exprès mais je parle du fond plutôt, je ne le comprends pas dans le fond). Ce qu’une œuvre « peut » c’est ce qu’elle provoque dans chacun (exit les histoires de « gouts » qui n’ont aucun intérêt ni aucune prise sur une œuvre, c’est des affaires personnelles çà les gouts, cela importe peu sauf pour celle ou celui qui voudrait en avoir, de peur justement de se faire prendre par cette supposée « puissance»). Si tu dis Poésie, Cinéma, Musique par exemple, chacune de ces formes artistiques sont effectivement structurellement, intrinsèquement, originellement différentes ( mais là aussi attention, l’ histoire prouve très bien que les choses ne furent pas ainsi il y a vingt ou trente siècles, que les choses évoluent, les fonctions, les perceptions etc. tout bouge – le XXème siècle a clairement sur-investi l’ archive, l’ autographe, la pièce unique, l’écrit aussi terriblement : La manière d’ éditer, de jouer, d’ approcher une partition de musique classique depuis 50 ans, n’a rien à voir avec ce qu’elles furent originellement, c’est là aussi très clair – de même que toutes les traductions sont à refaire sans cesse.). La forme de ces arts est une chose effectivement (ne serait-ce que par leur moyen de consommation, ou les besoins requis pour y accéder, mais là aussi de gros changements arrivent depuis le web), mais le fond me semble relativement très proche. Il faut savoir faire le ménage, le tri, aller au fond justement. A moins d’avoir, comme je le disais précédemment, une utilisation strictement sociale des arts (genre la Litho dans la chambre de l’hôtel Mercure, ou les rayons de CD pour montrer dans le salon quand les copains viennent, etc.). Une œuvre c’est drôlement bien foutu, extrêmement cohérent (de manière consciente ou pas). Cela se tient ou cela ne se tient pas auquel cas cela ne durera pas longtemps. Vraiment aucune inquiétude. La seule « Puissance » de l’œuvre que je peux voir c’est sa capacité unique à nous parler au présent, qu’elle date de cinq siècles ou de la semaine dernière. La mode se démode par définition, les œuvres pas, par définition de même.
DB : Mais je n’avance pas ce terme de puissance tout à fait dans ce sens là. Ce que peut la littérature, selon Maurice Blanchot par exemple : la littérature est une expérience de l’impersonnel et de l’impassible. La littérature peut l’impersonnel et l’impassible. De même, La philosophie peut l’amitié, la gaité. La poésie peut l’intensité, la métamorphose.
NA : Ce sont des « mots sur des choses ». L’impersonnel, l’impassible, c’est l’artiste justement. C’est une position qui rejoint tout à fait celle que je définis, faite de » quotidiens & pratique ». En musique on veut toujours voir l’artiste comme « lui-même » alors que le musicien est aussi joueur qu’un auteur, qu’un comédien, etc. … on sait très bien que l’autofiction n’existe pas ou ne veut rien dire. Une ado qui raconte sa vie dans un cahier ou sur un blog cela n’a aucun intérêt en tant que tel sauf à une seule et unique condition : qu’elle raconte justement la vie qu’elle voudrait avoir, et où forcement des pans entiers de sa vie transparaitront, mais aussi des pans entiers de ce qui est précisément et profondément elle-même. On le sait très bien en histoire, les archives sont centrales mais le roman a toujours été plus fort et plus prenant pour dépeindre des réalités passées. La littérature peut être la gaité (je lis Caradec en ce moment par exemple), la musique l’impassible (voire Dokyo ou d’autres musiques du silence), et la métamorphose, des acteurs font cela très bien aussi. La poésie peut-elle être l’humour ? Mais bien sur ! Thomas Bernhard, Schopenhauer, Nietzsche, c’est hilarant, là où Manchette, Céline ou Ionesco sont plus graves.
DB : Je tourne encore autour de cette question (quelle est la puissance de la musique : que peut la musique ?) avec un autre exemple : la phrase inscrite sur l’étui de guitare de Woody Guthrie : « This Machine Kills Fascists », j’y entends sous le sens des mots (machine, tue, fasciste) et avant même que ces mots prennent sens, une puissance, l’expression d’une pure puissance, portée à bout de bras et qui trouvera son acte , son sens, sa pratique… une chanson par jour.
NA : Puissance pour l’utilisateur, Woody Guthrie dans ton exemple certainement : puissance en général, j’en doute. Je ne sais pas, selon moi, Paul Veyne est puissant, Topor est puissant, Depardieu est léger, Hendrix est lunaire, Django joueur, Grappelli subtil, Monk lumineux, Guignard chiant, Angot vide, Jean-Pierre Foucault me fait penser à Molière et il a se mérite de ne jamais se cacher, etc. A propos de Woody Guthrie, ce que tu dis être puissant chez lui, c’est une phrase au fond, pas sa musique ni ses chansons. Guitaristiquement parlant si on veut rentrer là dedans, c’est faible mais cela n’est pas tellement son sujet non plus, c’est peut être marquant historiquement, ou important en tant que sens commun, de ce que cela signale tout en le réduisant à une sorte de drapeau d’un moment, et encore localement. Léo Ferré n’était pas plus d’actualité à l’époque qu’aujourd’hui et pourtant c’est d’une actualité intime folle, tous les jours. » Paris je ne t’aime plus » cela devait s’appliquer en 1792 comme en 2010, j’en suis certain. Si on essaie encore de se dépatouiller de cette « puissance », moi je dirais avant tout que la musique est « utile » et même parfois nécessaire. Ne serait-ce que parce que rien ne la remplace, on n’a pas cherché d’ailleurs, mais on n’aurait pas trouvé non plus.
C’est différent pour le cinéma : il y avait l’opéra avant, il y a maintenant les jeux vidéos, par exemple, cela peut changer- le problème actuel du cinéma (mais cela vaut pour beaucoup d’autres formes artistiques actuellement je pense) c’est qu’il est devenu du » cinéma de cinéma », c’est très nostalgique avant même d’avoir vu les images, çà joue au cinéma, c’en est parfois, çà se prend d’avance pour un film. Cela peut tout à fait disparaitre sous cette forme, on n’est pas inquiet, cela reviendra sous une autre, comme toujours. La littérature non plus je ne vois pas qu’elle puisse être remplacée par autre chose, c’est la voix, la littérature, elle passe par l’écrit mais reste une voix. La philosophie idem, on peut y aller, elle sera là jusqu’à la dernière seconde. Le jazz a bien disparu, le blues aussi, la musique classique a été enterrée pour ce qu’elle était puis tous ces styles se sont transformés, il n’y a qu’à regarder un peu mieux de plus près, on verra bien que Sinatra, c’est Eminem. Gainsbourg c’est un individu unique mais j’en suis certain dans les 50 ans à venir on en verra un autre, autrement, mais peut être aussi fort, puissant. Prince, c est Duke Ellington, Britney il y en a eu depuis le départ de l’Entertainment américain, des mieux, des nettement pires aussi.
DB : Une chose que je soupçonne : la musique – comme le cinéma – est à un moment donné un art d’être ensemble, mais pas au sens commun lié aux situations de concert, plutôt au sens fort de coexistence, d’alliance (un peu plus que s’accorder donc) – partager le même plateau, un même espace : en quoi jouer avec un autre, avec d’autres, est-ce important, essentiel pour toi ? Qu’est ce qui se joue là ? S’agit-il de la même expérience avec tous ?
NA : Mais l’art ne parle qu’à l’universel, à tous, pour toujours, presque à l’infini et dans l’absolu. Donc il y a de l’ensemble là dedans forcement, que chacun s y retrouve ou pas. Les œuvres sont là, on peut mettre des décennies à les reconnaitre, parfois ne jamais les rencontrer, d autres fois les prendre dans la gueule littéralement, la fonction de miroir de l’œuvre est sa nature. Il y a ce coté dans toutes les grandes œuvres de te tutoyer toi, en tant qu’individu dans le groupe (qu’on y soit ou pas, qu’on veuille participer ou pas, on y est, la communauté des hommes cela n’est pas des mots uniquement, c’est tout a fait concret). Moi qui me lève très tôt pour marcher dans les rues de paris vers 6h, je marche au coté d’autres, les classes sociales à cette heure là sont tout à fait évidentes, on voit qui va où, pour quelles raisons, quels sont les destins, les métiers. J’y suis tout seul entouré de plein d autres, je n’y suis pas par hasard non plus. Il y a une compréhension de l’autre, au sens du « prendre avec » (con-prendre). Il n’y a d’altérité que si l’autre veut vous forcer à être comme lui sinon c’est bien normal que l’autre ne soit pas vous. Ensuite jouer avec d’autres, c’est aussi un métier, cela se fait dans un cadre qui a ses règles, ses rituels, un minimum de « commun » pour pouvoir le faire, que cela marche ou pas. C’est intéressant si vous allez voir une pièce de théâtre, de la danse, de l’opéra plusieurs représentations d’affilée, vous verrez que la même pièce, les mêmes interprètes dans un même lieu, au fil des soirs ne produit pas du tout le même spectacle. Deux personnes vont parler d’un même spectacle alors qu’ils en ont vu deux très différents dans le déroulement, le rythme, les enchainements. Un quatuor de Beethoven selon qui le joue cela peut n’avoir rien à voir. Il y avait cette émission passionnante sur France Musique, La Tribune de FM où l’on pouvait entendre dix versions différentes d’une même œuvre, et à la limite l’œuvre passait au second plan face aux interprètes. Si Glenn Gould joue Gibbons ou Bach, cela n’est ni Gibbons ni Bach. Il suffira d’écouter la même pièce par Scott Ross puis Alfred Brendel puis un enregistrement du début du siècle par exemple. L’œuvre a son intégrité, sa pensée, son intelligence, l’interprète aussi, ou pas. De même, lire un livre cela n’est pas le comprendre ou être en empathie, c’est déjà et avant tout le lire en tant que tel. En musique souvent face à une partition on ne comprend rien, c’est que l’on n’accepte pas d’ aller plus loin et de laisser le compositeur vous dire tout ce qu’il a mis dans sa composition. En tant qu’interprète il s’agit de se prêter à l’œuvre, on en est son véhicule, on est là pour faire le haut parleur et le décodeur éventuellement. On est parlé par l’œuvre…
DB : …Tout est là – « on est parlé par l’œuvre » – dans cette tournure passive : cette puissance de la musique ou de la voix qui me retourne…
NA : C’est central effectivement – en tant qu’ « artiste » (et le mot n’est pas mon préféré mais bon, c’est commun , cela permet de voir en gros où cela se passe ) , toutes ces histoires romantico-dilettantes-lyrico sont souvent fatigantes tant elle ne correspondent pas à la réalité de ces quotidiens – on est là pour que des œuvres puissent s’exprimer en tant que telles – régulièrement on trouve bizarre que des artistes aient des vies très réglées, tous les jours pareil, à remettre les choses sur la table, mais c’est automatiquement ce qu’il se passe quand tu entres la dedans…. Pour en revenir à ton expérience de l’autre dans le jeu, on ne peut faire l’expérience de cet autre qu’en étant à sa place déjà. Ceci dit toutes ces formes artistiques, et les arts de la scène en particulier, sont aussi un métier avec ses techniques, ses quotidiens. On peut tout à fait jouer avec des gens avec qui on ne passerait pas une heure, cela marche très bien, tant que l’autre s’en tient à son rôle je veux dire. On peut aussi se sentir très proche d un autre interprète et rater totalement du coup la pièce. Lorsque vous avez un partenaire sexuel par exemple, rien n’est garanti d’avance, il ne suffit pas d avoir envie du même coït, d’être d’accord sur le principe, sur ses effets pour que çà colle. Il y a de tout dans la sexualité, toutes les surprises, réussites sur le moment comme ratages sidéraux. Ce n’est pas de se sentir proche qui va forcement vous envoyer en l’air, au contraire, même çà peut tout à fait inhiber l’acte chez l’un des deux. Cela ne me semble pas très différent en musique ou dans le métier de musicien. La seule chose que je peux voir c’est le fait que tout de même les grands artistes sont des gens assez au clair avec toutes ces choses là. Une Longue expérience, de nombreuses réflexions sur le sujet vous permettent de savoir faire le tri entre tous les affects qui vous arrivent, éventuellement de laisser jouer la fonction seule si le reste ne marche pas, c’est un métier, clairement aussi.
DB: Tu as eu l’occasion de jouer avec Laurent Chambert à la société de curiosités : comment c’était ce soir là ?
NA : Une vraie rencontre sur l’instant, le vif mais de fond aussi. Celles que je préfère en somme. En fait dès le départ, il y a une histoire, et cette courte histoire peut avoir valeur d’exemple : j’avais rendez-vous à République dans un café au printemps dernier un après-midi et devais me rendre dans la soirée à une répétition de « Poésie B », je voulais manger un truc sur la route avant et je remonte vers Oberkampf pour prendre le métro à Parmentier. Dans les escaliers un jeune type qui sortait me demande si je ne suis pas moi-même, et m’explique qu’il aimerait m’inviter à un dispositif-projet de concert dans un nouveau lieu. On se reparle au mail, on trouve une date et ce soir-là, après le concert je parle avec un tas de gens dont assez longuement avec Laurent sans savoir qui il est, mais une personne s’impose dans la discussion très vite (Marie Möor, ce qui me ramène à mes débuts 25 ans plus tôt, et à Barney Wilen). Un peu plus tard Laurent me propose de participer à un projet avec lui dans ce même lieu, et comme avec toi ici, je fais un peu exprès de ne pas trop en savoir mais de laisser la rencontre se faire. En général, j’ai une confiance totale dans ce genre de carambolages, surtout si la personne en face te demande pour une raison ou une autre, je laisse l’autre avoir ses raisons de le faire et je réagis au désir de l’autre tout simplement. C’est un peu toute l’histoire de ma vie, tout s’est toujours fait accidentellement comme cela, c’est à dire « par hasard », donc sans le moindre hasard justement. Tout cela fait sens, même si cela peut prendre de longs moments avant de s’en rendre compte. On vient vous chercher, ou des rencontres se passent, à partir du moment où vous y êtes totalement ouverts. Les mêmes personnes à un autre moment, vous pouvez très bien être en face mais ne jamais les rencontrer. C’est récurrent chez moi ce type de rencontres, parfois en quelque secondes je peux me retrouver dans une situation qui va profondément changer ma vie, l’instant d’avant je n’en savais rien, et pourtant cela ne tombe jamais au hasard, cela arrive toujours à un moment central pour moi. Parfois ce sont des gens totalement anonymes, d’autres fois, des gens tout à fait célèbres mais que je ne reconnais pas (ou je peux même refouler dans ce cas là et ne pas me rendre compte de qui est qui). Le désir est communicatif, très clairement. Avec Laurent c’était très simple, il m’a invité à venir participer à son projet en tant que tel. Nous nous sommes rencontrés quelques heures avant, nous sommes allés prendre une bière pour parler un peu mais sans nécessairement détailler ce que nous allions faire le soir, et puis nous l’avons fait. Dans ce genre de rencontre, je cherche une sorte de lieu de partage entre la proposition de l’autre et mes intérêts du moment. Je sais que si j’avance une ligne, ne serait ce que d’être là ensemble à le faire, elle va me permettre d’appréhender le travail de l’autre. En gros j’ouvre un cadre, un champ, où le travail de l’autre va se révéler à moi, il ne s’agit pas de courir après l’autre, ça ne marche pas du tout. Il faut accepter que deux lignes se déroulent simultanément, si elles font sens ensemble, le sens se fera jour tout seul. Nous sommes là pour soutenir cela, pas pour le créer, pas pour le forcer non plus. Cela peut sembler un peu flou, mais c’est véritablement aussi simple que cela. Je parlais de religieux plus haut, mais il y a dans l’histoire des hommes des termes premiers que tout le monde reconnaît si on les pose, alors que pourtant chacun en a une expérience radicalement intime et différente. Ces mots, que ce soit Dieu, La Mort, La Vie, L’Amour, nous sont centraux d être justement indéfinissables, ou plus littéralement, à redéfinir à l’infini, pour chaque individu. Il y a dans la musique des choses qui ressemblent de très près à cette recherche, il y a donc aussi comme ailleurs, des gens qui ont trouvé des réponses, d’autres qui n’en veulent pas, d’autres pour qui seul le chemin compte etc. … mais la démarche est assez proche. La « quête » aussi.
Post-scriptum – Noël Akchoté
NA : Voila, en guise de conclusion, j’aimerais revenir sur ce titre qui oppose au départ (mais c’est le sens du dialogue justement), une « puissance de la musique » à des « quotidiens et une pratique ». Je n’oppose en rien les effets que produisent les œuvres au travail qu’elles nécessitent au quotidien : une pratique. Je dis simplement que » faire » des œuvres est un travail qui vous permet justement de poser des faits, du sens, des images tout à fait précises et non pas des « révélations », des moments lyriques d’inspiration ou d’ affects. Il y a quelque chose dans le travail de l’artiste qui peut se rapprocher du travail de l’analysant dans une cure, tout est dedans mais tout n’est pas lisible, accessible, ordonné pour l’individu même si tout est absolument ordonné pourtant. C’est comme un sculpteur qui reçoit un bloc de pierre, il va falloir qu’il fasse émerger l’œuvre du bloc, mais l’œuvre est déjà là, présente en lui, le reste demande un quotidien, une pratique, donc un métier aussi. Cet aspect des choses, il suffit de lire les nombreuses correspondances d’artistes pour le voir, ils ne parlent que de cela. Il y avait récemment une série d’émissions autour de Simenon où il donnait sa définition de l’écrivain : un écrivain, c’est quelqu’un qui passe toute la matinée à ajouter une virgule, et toute l’après-midi à l’enlever.
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ELEMENTS
Noël Akchoté est un guitariste français né à Paris le 7 décembre 1968. Du jazz à l’improvisation, en passant par la chanson, le rock ou la variété, son parcours et ses pratiques permettent difficilement de lui attribuer un style précis, pas plus qu’une appartenance à un courant ou à un milieu musical spécifique…
Discographie et bibbliographie de Noël Akchoté sur wikipedia
Textes de Noël Akchoté dans la revue SKUG
La playliste de Noël Akchoté dans les programmes non déterminés de la société de curiosités