Colloque « Les pratiques de réadaptation : les défis de l’avenir »
Institut Raymond Dewar, Montréal, 25 et 26 juin 2009
Bonjour à tous ici présents,
Je me réjouis de me retrouver à nouveau parmi vous, invité par le comité d’organisation de ce colloque qui commémore les 25 ans d’existence de cette institution mondialement renommée qu’est l’Institut Raymond Dewar. C’est la deuxième fois de ma vie que j’interviens à l’invitation de l’IRD (la première était en septembre 2004) et je voudrais tout d’abord exprimer mes remerciements et ma gratitude pour le très grand honneur que vous me faites d’intervenir ici. Je suis venu vous faire part de réflexions tout à la fois professionnelles, éthiques et citoyennes issues de ma pratique actuelle de psychiatre travaillant au contact des sourds et des sourdaveugles. Je suis en effet convaincu que ces trois niveaux d’analyse, technique (le maniement des outils de l’exercice de notre métier), éthique (les règles que nous devons respecter dans ce maniement) et politique/culturel (les orientations qu’il est souhaitable de prendre comme membres de la cité) sont indissociables. Il s’agit non seulement de nous rendre plus efficaces par rapport aux objectifs que nous nous fixons, mais encore et surtout de décider de la valeur de ces objectifs. Il m’est toujours apparu insuffisant de limiter les questions au seul aspect technique de nos activités professionnelles. Il y a toujours moyen de tomber d’accord sur les méthodes. En revanche, la finalité et la légitimité de nos actions ne peuvent être évaluées que sur le fond de dissensus de nos jugements de valeurs et doivent faire l’objet d’un travail pour s’orienter et se réorienter à tous moments dans notre environnement social et culturel. Me confrontant à vous, j’espère prendre du recul envers ma pratique et j’imagine que, de votre côté, ayant invité des étrangers, vous avez souhaité faire de même en acceptant qu’un regard hétérotopique soit porté sur votre quotidien. Je suis donc venu pour interroger nos pratiques respectives et mon intention est de rendre un tant soit peu moins évidents des usages et des notions auxquels nous recourons si quotidiennement qu’il nous est difficile de les mettre en question.
Sollicité pour une intervention, depuis quelque temps je lis plus régulièrement qu’à l’habitude des documents sur l’offre de services et plus généralement sur la situation des sourds au Québec. Au fil de mes lectures, j’ai tenté de repérer des concepts phares dans les textes canadiens et mon attention s’est portée sur un thème central que nous autres Français partageons avec vous, et qu’on retrouve d’ailleurs dans le titre du colloque d’aujourd’hui comme dans l’intitulé de votre institution, la réadaptation. Les discours, les institutions et les pratiques de réadaptation forment en effet un ensemble hétérogène qu’il est convenu d’appeler un dispositif [1] et c’est ce dispositif que je me propose de sonder ici.
Je suis tout à fait conscient que de réadaptation, vous en avez mille fois débattu et je ne voudrais pas jouer à celui qui va réinventer le fil à couper le beurre. Ce concept me paraît pourtant pouvoir être interrogé au moins dans trois directions. Chemin faisant à travers les conflits d’interprétations et de pratiques, j’exposerai les raisons qui incitent à explorer de nouvelles perspectives.
1 – Y a-t-il une différence entre adaptation et réadaptation ?
À travers mes lectures bien évidemment partielles et lacunaires de textes canadiens de langue française, j’ai tôt fait de noter que, autant que dans les articles des revues françaises, le mot réadaptation règne en maître. Il occupe sans partage le terrain que pourrait revendiquer un autre terme qu’il éclipse pourtant presque totalement, le mot adaptation, qu’il contient d’ailleurs en son sein. J’ai noté bien moins d’occurrences de l’adaptation, et dans tous les cas, le lecteur peine à distinguer un signifiant de l’autre : adaptation et réadaptation sont le plus souvent utilisés indifféremment, parfois de manière alternée, dans une parfaite synonymie. Ma première question sera donc la suivante : sommes-nous en présence d’un seul mot et d’un seul concept, ou de deux concepts différents ?
Il y a bien un préfixe au mot adaptation : le préfixe ré indique un recommencement. Nous sommes donc en présence d’une opération d’adaptation qu’il faudrait réitérer. La première aurait-elle donc été perdue, ou ses effets annulés ? Et la seconde serait-elle de même nature, ou au contraire ne devrait-elle pas être distinguée ?
Personne n’ignore ici que l’apparition des concepts de réadaptation, de rééducation, comme celui de rehabilitation dans la langue anglaise, sont nés dans le sillage de la première guerre mondiale, avec son cortège de terribles blessures et de mutilations infligées aux combattants des tranchées. Quand elle n’avait pas été fauchée par la mitraille, la vie de centaines de milliers d’hommes valides avait changé de statut. Évacués puis opérés, ces soldats devaient trouver dans leur nouvelle condition physique et mentale les moyens de poursuivre une existence aussi proche que possible de celle qu’ils avaient connue auparavant. Le schéma chronologique est donc clair : adaptation initiale de l’être à soi-même, aux autres et au monde environnant, désadaptation par la blessure, intervention médicochirurgicale et souvent psychiatrique puis réadaptation. On retrouve ce même schéma avec le terme rééducation qui désigne aujourd’hui, par exemple, la phase qui suit l’intervention chirurgicale subie par un accidenté de la route. D’où je tire ce premier constat : il a bel et bien existé une période initiale de bien-être physique où l’adaptation de la personne se déroulait sans difficulté particulière. La réadaptation ne saurait concerner quelqu’un qui n’a jamais connu d’adaptation : le terme d’adaptation suffirait amplement dans ce cas pour décrire le processus et la temporalité requise. Dans le champ de la surdité ou de la surdicécité, à proprement parler je ne vois qu’une seule utilisation pleinement justifiée du mot réadaptation : ce terme fait plutôt référence à la situation des devenus sourds ou devenus sourdaveugles. Les sourds ou les aveugles de naissance n’ont rien perdu qui puisse être récupéré : ils sont nés comme cela. L’évolution de leur corps, de leur personnalité et de leurs relations sociales est tributaire d’une adaptation qui fait fond dès leur naissance sur les capacités dont ils ont été dotés et non sur celles qui leur manque. Comme pour tout être humain, la configuration de leur existence intègre de manière originale les éléments dont elle dispose, et uniquement ceux-là. Vous connaissez tous Laurent Clerc, l’enseignant sourd parti s’installer aux Etats-Unis à l’instigation de Thomas Hopkins Gallaudet. À la question de l’aveugle Alexandre Rodenbach « Les sourds-muets sont-ils malheureux ? », Laurent Clerc répond : « Ils ne sont pas malheureux ; qui n’a rien eu n’a rien perdu et qui n’a rien perdu, n’a rien à regretter » [2]. En revanche, les devenus sourds ou devenus sourdaveugles ont bel et bien perdu quelque chose. Ils ont connu une certaine manière d’être au monde, une certaine adaptation dans la vie qui précédait la survenue de la perte d’un sens et doivent composer avec les effets de cette déficience sensorielle acquise qui caractérise leur nouvelle condition.
Pris dans ce sens, le concept de réadaptation est indissociable de la temporalité. Il y a bien une diachronie où se succèdent les événements et le processus de la seconde étape est temporellement distinct de celui de la première. Cependant, un autre usage du terme est repérable dans les discours sur la réadaptation. Il n’est plus fait référence à la diachronie de la trajectoire individuelle d’une personne donnée, mais à la comparaison des êtres humains entre eux, par exemple sous la forme de la question : quelles sont les conditions d’existence des sourds, comparées à celles des entendants ? La perspective est ici synchronique, et nous sommes sans détour confrontés à la norme. La norme, comprise dans le sens de prototype ou de forme parfaite, indique que tout être humain naît pourvu d’organes des sens en bon état de marche. Quelle réponse apporter alors au défi de la déficience sensorielle qui frappe certaines existences et pas d’autres ? Justement, celle de la réadaptation. Mais cette réadaptation ne vise pas tant la restauration d’un état initial que n’a jamais connu tel individu sourd ou aveugle ou sourdaveugle de naissance particulier, que la recherche d’un état, l’état d’entendant ou d’entendant-voyant, qu’il est légitime de considérer comme normal puisque partagé par la majorité des humains. Dans cette perspective, le plus court chemin, qui ne manque pas d’ailleurs d’être le plus souvent emprunté, est bien de réduire la surdité et de tout mettre en œuvre pour que sourds ou sourdaveugles soient mainstreamed, c’est-à-dire qu’ils rejoignent le courant majoritaire et intègrent le mode de vie des entendants ou entendants-voyants.
Fin de la réadaptation ?
Il m’importe ici, avant de poursuivre, de souligner une première ligne de force qui sous-tend les dispositifs de réadaptation et qui offre matière à un débat éthique. Le terme réadaptation a été forgé par des professionnels et non par les usagers qui viennent à leur rencontre. Je crois qu’assimiler l’adaptation à la réadaptation dénote, chez ces professionnels, la nostalgie d’un état antérieur ou d’un état rêvé, et crée une aporie. N’est-il pas abusif de généraliser le modèle de la trajectoire des devenus sourds pour l’appliquer aux sourds de naissance ? Il faut bien reconnaître, dans le cas d’un enfant sourd de naissance, qu’on ne saurait parler d’apprentissage du français oral ou de la langue des signes comme de mesures de « réadaptation ». En revanche, l’utilisation du vocable sera plus justifiée dans la réappropriation de la parole orale par un devenu aphasique entendant. Plus justifiée, mais pas complètement cependant, car le terme de réadaptation laisse planer l’illusion que la nouvelle adaptation pourrait aboutir à un état identique à celui qui l’a précédé. Lorsqu’un adulte devenu sourd décide de se lancer dans la communication visuelle-gestuelle et d’apprendre la langue des signes, on ne devrait pas parler de « réadaptation » mais plutôt d’une nouvelle adaptation du sujet qui ne le fait pas revenir vers les anciennes conditions de son existence. Les stratégies originales qu’un enfant ou un adulte sourd est capable de mettre en œuvre pour s’exprimer en une langue visuelle-gestuelle, langue à part entière, qui est à sa portée et qui ne nécessite aucune intervention réparatrice, sont des stratégies adaptatives. Je citerai ici le thérapeute François Roustang : l’adaptation « est la réactualisation du rôle du corps dans le système actuel des rapports aux êtres et aux choses, elle est développement et déploiement de ses possibilités dans le réel où il est placé. Quelle que soit l’originalité de son parcours, l’être humain doit reprendre à son compte les impératifs de l’aventure qui a commencé avec l’apparition de la vie » [3]. Il arrive malheureusement trop souvent que l’on considère encore de nous jours la surdité non comme une aventure qui mène à l’élaboration de solutions originales et à un parcours singulier, mais comme une erreur par rapport à une norme définissant une fois pour toutes ce vers quoi la vie devrait tendre : le devenir entendant comme retour vers un état antérieur ou comme cheminement vers un état idéal. On sait où cela mène : dans un contexte où la surdité n’est pas permise, le sourd de naissance vit sa surdité comme une tare ou un fléau qu’il lui faut combattre alors même que celle-ci imprègne chaque instant de son existence. Il grandira dans la honte et dans la lutte interminable et parfaitement inégale pour atteindre la « normalité » de ses pairs entendants, au risque – cela est confirmé quotidiennement par ma pratique de psychiatre – de développer une personnalité as if, un faux self, une dépendance affective et un isolement social, un épuisement menant à la dépression du fait de l’effort ininterrompu pour « être à la hauteur » des réussites qu’on attend de lui [4]. L’enfant sourd profond de naissance qui se meut dans un univers oral, sans langue des signes, ne subit pas à proprement parler lui non plus de « réadaptation » : il est éduqué en première intention pour devenir comme un entendant, a fortiori si ses parents optent pour la pose d’un implant cochléaire en le détournant de tout contact avec d’autres sourds et de toute pratique de la langue des signes. Dans les consultations de nos unités d’accueil et de soins des sourds en France, nous recevons les patients dans la langue de leur choix, français ou langue des signes, autant que dans le respect de leur culture et de leur idéologie, de leurs convictions politiques ou religieuses, de leurs modes de vie et de leurs goûts ou de leurs orientations sexuelles. Il n’y a pas là qu’un impératif éthique : nous sommes dans l’incapacité d’exercer notre métier et le patient court les plus grands risques dès lors que nous ne partageons pas la même langue. Nous n’amalgamons donc pas des situations différentes et nous respectons ainsi le vécu et la douleur de celui qui a perdu un sens autour duquel il avait antérieurement construit sa vie. Nous l’accompagnons dans le chemin qui lui permettra de vivre le mieux qu’il peut dans les nouvelles conditions de son existence. Nous œuvrons, par exemple, à ce que le devenu sourd mette en valeur les ressources visuelles dont il dispose pour compenser la perte auditive, ou encore à ce que le sourd malvoyant mobilise ses ressources tactiles et proprioceptives dans l’apprentissage du maniement de la canne. Nous les soutenons dans tous les moments où se trouvent ravivés le sentiment de la perte et la dépression qui s’y rapporte.
J’ai vécu plusieurs fois l’expérience suivante, qui corrobore ce que je viens d’énoncer. Dans les réunions régionales de sourdaveugles et sourds-malvoyants que nous organisons au CRESAM, se côtoient des personnes aux trajectoires de vie variées : comme partout dans le monde, celles porteuses d’un syndrome de Usher de type 1 s’expriment plus souvent en langue des signes, tandis que celles qui sont devenues progressivement et plus tardivement malentendantes et malvoyantes (Usher de type 2) s’expriment en langue orale. Force m’a été de constater qu’en présentant leurs parcours, les personnes porteuses de Usher de type 1 évoquent la progression de leur déficience visuelle dans des termes de grande douleur et d’angoisse mais dans une indifférence quasi absolue à la surdité qui, elle, a toujours fait partie du décor comme une toile de fond sur laquelle il n’y a même pas lieu de s’attarder. En revanche, les personnes Usher de type 2 décrivent autant les effets de la déficience visuelle que ceux de la déficience auditive. Il est clair que ces dernières perdent une certaine adaptation au monde et la question d’actualité devient pour elles : « comment me défaire de mon habitus d’entendant-voyant pour forger une nouvelle adaptation ? » Ces exemples illustrent clairement la différence d’inscription dans une trajectoire de vie de ce que l’on a (de l’ordre de l’acquis) et de ce que l’on est (de l’ordre de l’identité). Refuser de rabattre la surdité ou la cécité de naissance sur la surdité ou la cécité acquise, c’est déjà, me semble-t-il, s’engager sur un plan éthique dans le sens du respect du sujet sourd, aveugle ou sourdaveugle, de ses choix et de ses conditions d’existence et c’est ouvrir la voie à l’adaptation. Mais, pour plus de clarté, tant professionnels qu’usagers, n’aurions-nous pas intérêt à énoncer que notre condition humaine d’être au monde nous soumet à des processus permanents et multiformes d’adaptation ? Ce serait déjà une manière de considérer tous les êtres sous le seul angle de leur humanité et faire fi des distinctions entre les sujets de la « réadaptation » et les autres, humains bien adaptés ou professionnels préposés à l’adaptation des déficients de tous ordres. D’où l’objection qui ne manquerait pas de naître : en subsumant tout sous le terme d’adaptation et en oubliant la « rééducation », ne mettons-nous pas trop d’espoirs dans le déroulement naturel et spontané de l’adaptation, ne sous-estimons-nous pas l’importance des efforts des professionnels et ne laissons-nous pas entendre par là-même que leur présence n’est pas vraiment utile ? Personnellement, j’éprouve les plus grands respect et intérêt pour les savoirs et les savoir-faire accumulés au fil des siècles par les professionnels, jusques et y compris dans le domaine des implants cochléaires. Nous aurons l’occasion, dans le programme si riche et si divers des deux jours de ce colloque, de faire le point sur bien des connaissances et des avancées scientifiques et techniques. Il est donc hors de propos de résoudre le problème en refusant notre reconnaissance à ces professionnels. Je n’oublie d’ailleurs pas que je me compte parmi eux et je n’ai pas l’habitude de scier la branche sur laquelle je suis assis ! En revanche, il est essentiel d’observer que le découpage actuel du réel configure un certain état des dispositifs autour de la surdité et de la surdicécité. Les circuits des soins de la déficience auditive s’organisent selon un schéma qui peut et doit être discuté sans réserve. En outre, il ne se passe de jour où l’émergence de techniques inouïes, de nouveaux acteurs ou de revendications inédites ne vienne bouleverser les préjugés et les pratiques établies, nous incitant à accorder moins d’importance à ce qui en avait jusque-là beaucoup et à réévaluer des aspects longtemps considérés comme mineurs. Les effets de balancier et le surgissement de rapports sociaux inconnus redistribuent les cartes entre le visible et l’invisible, modulent notre usage des techniques et nous contraignent à de nouvelles adaptations.
2 – Qui s’adapte à qui ?
J’ai donc commencé à approcher, par les bords, ce qu’est le processus d’adaptation. L’enjeu est toujours l’ajustement des rapports du sujet avec lui-même et avec l’entourage, la modification de son système relationnel. Ce qu’on appelle le comportement implique l’ensemble des relations qui constituent l’être humain, les relations à soi, aux autres et au monde car la vie de l’individu se soutient de tout le vivant, microorganismes, plantes, animaux et humains, comme de toute la matière qui l’entoure, jusqu’aux confins de l’univers.
J’en viens maintenant à une deuxième série de questions. Quand on aborde la modification du système relationnel d’un individu, on ne peut manquer de se demander : dans quel sens cette modification opère-t-elle ? Autrement dit, qui s’adapte à qui ? Si nous admettons qu’un vivant est un corps organisé et que, « par l’intermédiaire des sens, ses mouvements déterminent son rapport au milieu, qui à son tour le détermine » [5], concrètement, dans notre champ d’action professionnelle, ne visons-nous pas le plus souvent sinon exclusivement, l’adaptation unilatérale du sourd, objet et cible de tous les efforts (les siens comme ceux de ses proches) à son environnement entendant ?
Lorsque, dans la France d’avant la Révolution française, l’abbé de l’Épée crée à Paris la première école pour sourds, son intention est bien de venir en aide à ces laissés pour compte de l’humanité et d’amener à Dieu et à la société des enfants non encore affiliés ou désaffiliés. L’affiliation sociale des sourds est son objectif avoué. Il vise donc l’adaptation des sourds au monde entendant. À travers lui, le monde entendant se porte au-devant des sourds et les investit. Mais pour atteindre son objectif d’enseignement, il s’appuie sur le collectif des enfants qu’il a réunis et sur la langue des signes dont ils usent spontanément entre eux. Autrement dit, il tire profit de leur potentiel et de leurs dispositions, il adapte sa méthode en acceptant que les élèves sourds lui indiquent le chemin. Les enfants sourds investissent le mode d’être-au-monde de l’abbé. Ils font ainsi à leur tour un pas vers l’abbé et, à travers lui, vers le monde entendant, ce que pourra constater la foule qui se presse toujours plus curieuse dans les fameuses séances de démonstration où l’éducation des sourds et à travers elle la langue des signes sont présentées sur une scène. Mais l’abbé n’en reste pas là. Il ne se contente pas d’observer l’existence de la langue des signes et d’en tirer profit. Il entreprend de la modifier en créant les « signes méthodiques » qui facilitent, selon lui, l’apprentissage du français. Il colonise ainsi la langue des signes en lui incorporant des signes artificiels : à son tour d’investir la langue des signes et de l’« adapter », à son tour d’imprimer le sceau des entendants sur l’existence des sourds. La petite histoire de l’abbé de l’Épée est ainsi tissée de mouvements permanents d’interpénétrations mutuelles plus ou moins réussies et d’adaptation réciproque des élèves sourds à leur maître et du maître aux élèves, et cette petite histoire, que la Révolution française reprendra à son compte et amplifiera, inscrit les sourds dans la grande histoire de l’humanité et configure une nouvelle ère de rapports sourds-entendants inconnus jusque-là. Je crois que l’œuvre de Valentin Haüy est du même ordre : à travers son action, voyants et aveugles nouent de nouveaux rapports dont les effets se font toujours sentir depuis la fin du 18ème siècle.
J’aimerais citer d’autres exemples plus contemporains de ces transformations mutuelles des sujets sourds et de leur milieu de vie. Depuis 1975, la communauté sourde française s’est exprimée à travers des associations culturelles telles qu’IVT (International Visual Theater), l’Académie de la Langue des Signes et Deux langues pour une éducation (2LPE) dans un élan revendicatif qu’il est convenu d’appeler le Réveil sourd. Les sourds ont ainsi obtenu certaines formes de reconnaissance de la langue des signes, l’ouverture de classes bilingues français/langue des signes pour enfants sourds, la mise en place de services d’interprètes français/langue des signes, la production d’émissions télévisées en langue des signes et le droit au sous-titrage, etc. La création des unités d’accueil et de soins en LSF, exemple qui m’est le plus proche, s’inscrit dans la foulée de ces changements : elle doit satisfaire le droit des sourds à un accès aux soins médicaux, chirurgicaux et psychiatriques égal à celui des entendants. L’émergence de ces unités a permis que les sourds commencent à s’approprier les institutions de santé, les pratiques de santé et le savoir médical, avec ses concepts et son vocabulaire. On commence donc en France à percevoir la santé des sourds comme une question de santé publique et le fonctionnement de ces douze unités, réparties dans autant de grandes villes, est officiellement reconnu et encadré depuis avril 2007 [6] par une circulaire du ministère de la santé. Celle-ci précise que la « compétence linguistique [des soignants en langue des signes] permet le transfert de l’exigence linguistique sur l’équipe qui est en mesure de lever les obstacles lors de son parcours de soins. Désormais, ce n’est plus au patient de s’adapter à la langue des professionnels de santé mais c’est à l’équipe qui l’a en charge de s’adapter à ses capacités de communication. En conséquence, la mission principale des unités consiste à lui garantir l’égal accès aux soins à l’instar de la population en général ».
En affirmant leur existence, en rendant visible leur langue et leur culture, en exigeant que la société entendante les prenne en compte, les sourds ont entamé un immense processus d’ajustement culturel et social. L’enjeu est ainsi bien plus vaste que la seule question de l’accessibilité. Pour les unités de soins des sourds, l’accessibilité demeure aujourd’hui un objectif toujours valable, aussi important qu’au premier jour de leur création d’autant que tous les besoins sont encore loin d’être couverts. Mais ce premier pas laisse maintenant entrevoir ses limites. L’accessibilité suppose qu’on change juste ce qu’il faut pour que les exclus aient « accès à » (la culture, la justice, la santé, l’éducation, etc.). En réalité, le changement est d’une tout autre ampleur. Prenons l’exemple du changement introduit dans les consultations par la présence d’interprètes et par celle de médiateurs sourds qui viennent seconder le médecin consultant. Cette présence d’un voire même de plusieurs tiers (et particulièrement de tiers non médecins) n’est pas chose communément admise dans certains lieux de consultations. Lentement et avec difficulté, le comportement des soignants entendants confrontés à des patients sourds est sommé de s’adapter aux conditions de ce nouveau cadre clinique. De même, afficher la photo des différents membres de l’équipe soignante sur le mur du bureau d’accueil de la consultation (le trombinoscope), revoir la signalétique de la consultation dans l’hôpital en prenant en compte le point de vue des sourds, s’efforcer de fournir des explications adaptées à la culture du patient par le recours au dessin, aux gestes et à la mimique, modifier la position du regard ou la façon de s’adresser au patient, autant d’aspects concrets où le passage des sourds laisse des traces dans le comportement des soignants entendants, qui ne manquent pas d’être utilisées lorsque ces mêmes soignants font face à des patients entendants. Bien des habitudes corporelles, des attitudes et des conceptions ancestrales, médicales et non médicales, subissent ainsi des modifications, au prix de patients efforts qui menacent à tout moment de céder face aux vieilles habitudes. Et la collaboration entre sourds et entendants ne va pas de soi dans l’exercice quotidien de la profession : les conflits ne sont pas toujours évités et nécessitent, pour être résolus, des ajustements permanents, une souplesse, des moments collectifs et solitaires de réflexion, la mobilisation de beaucoup d’affects… Renversement de positions : avec l’arrivée dans les unités de psychologues sourdes diplômées, nous assistons actuellement à une nouvelle donne sur le plan clinique. Recevant un patient sourd, elles doivent faire appel à un interprète pour le rencontrer en présence de sa famille entendante !
On en arrive ainsi à un retournement majeur de situation. Non seulement ce n’est plus aux sourds de changer pour devenir entendants, non seulement c’est aux entendants de s’ouvrir à un monde jusque-là inconnu, mais encore c’est à un changement entre entendants eux-mêmes que conduit la prise en compte de la surdité (et, bien sûr, entre les sourds eux-mêmes). L’humanité des sourds, une fois perçue, change la face de l’humanité. Est bien changé celui qui croyait changer autrui… Nicolas Bouvier, le grand écrivain voyageur, remarquait ainsi : « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » [7]
Fin des techniciens ?
À travers ces exemples, j’ai voulu montrer que l’adaptation affecte toutes les dimensions de la vie humaine et qu’elle est irréductible à la seule technique et aux seules connaissances scientifiques. Certes, l’audiophonologie a connu un essor spectaculaire depuis l’ère des pionniers du 18ème siècle, la technique orthophonique aussi, de même que la chirurgie de l’implant cochléaire, le LPC (Cued speech) est venu renforcer la lecture sur les lèvres. Une évolution parallèle a marqué le domaine des recherches sur la cécité. Des centres de réadaptation ont été créés, des catégories entières de techniciens ont vu le jour et se sont développées dans nos sociétés. Mais l’adaptation ne saurait être réduite à ces quelques foyers : processus global, elle les déborde chaque jour, elle concerne tous les vivants, sourds ou entendants et mène à des pratiques innovantes, des savoirs imprévus ou des changements de lois. Je ne ferai que citer pour la France les articulations de la surdité avec des problématiques différentes, indépendantes d’elle : la reconnaissance de la langue des signes freinée par les tenants du principe selon lequel le français est la langue exclusive de la République française, le refus d’un certain communautarisme sourd, amplifié par les conflits autour du port du voile islamique etc. Il ne s’agit nullement de nier les effets des outils, mais, au-delà de l’évaluation de leur efficacité, d’en analyser les objectifs, en se rappelant qu’ils n’indiquent jamais par eux-mêmes la manière de les utiliser. Les mêmes remarques pourraient être adressées aux partisans de la langue des signes, lorsqu’ils considèrent que la langue est par elle-même et du seul fait de la pratiquer l’instrument de leur libération. En elles-mêmes, les langues n’ont jamais libéré personne, mais l’usage qui a pu en être fait selon les circonstances par leurs locuteurs a pu contribuer à leur émancipation.
La bonne volonté des professionnels ne vaudrait rien sans que soit prise en compte la totalité de la vie, celle des sourds comme celle des entendants, car la vie déborde sans cesse le cadre restreint des pratiques de techniciens. Or nous vivons actuellement sous l’emprise d’un biopouvoir toujours croissant qui morcelle les responsabilités, qui cloisonne les savoirs et les pouvoirs et répartit rigidement les rôles sociaux, créant autant de défis à l’adaptation tant revendiquée pour les sourds sinon par les sourds.
Se mettre à l’écoute d’un sourd ou d’un sourdaveugle, comme de tout sujet, commence, me semble-t-il, par ne pas mettre la parole du professionnel en lieu et place de la sienne. C’est tout l’enjeu d’une écoute attentive. Prenons l’exemple des techniques dites de « rééducation de la parole ». Le fondement de la parole est le désir de relation avec autrui et cette parole est un jaillissement original auquel nul autre membre de l’entourage familial ou professionnel ne peut se substituer. Un enfant, par exemple, finit toujours pas intégrer les corrections de langue que les adultes ne manquent pas de lui signifier. Il n’en reste pas moins que sa prise de parole relève du jeu du désir et de la demande et non d’un quelconque enseignement : la parole se prend, elle s’apprend mais elle ne s’enseigne pas. Pour celui qui s’engage sur le chemin du devenir adulte, l’affirmation d’existence et la possibilité de se séparer, de s’individuer, qui sont corrélées à la prise de parole, sont affaires de sujet : on n’émancipe pas autrui, le sujet s’engage dans des actions d’émancipation par lesquels il revendique de devenir agent.
L’altérité n’est pensable qu’à condition de se déprendre de l’obsession et de la passion exclusive du même, fondement de tous les racismes. Or il n’est pas facile, pour les professionnels que nous sommes, de nous défaire du déni qui nous remet toujours sur le même chemin du déjà connu. Cela consisterait par exemple qu’en tant que professionnel, je cesse de parler au nom de l’usager, ou qu’en tant qu’entendant je ne parle pas au nom des sourds, ou encore que je renonce à la définition préalable de ce qu’il faut faire et de comment agir. Sans cela, la pratique orthophonique, qui vise à établir les conditions optimales d’émission d’une bonne parole, ne sert qu’à faire taire les sourds ou à les engager dans des psittacismes [8]. Sans cela, la parole du maître d’école ne vise qu’à remplir en pure perte un puits sans fonds où toutes connaissances deviennent inutiles. Sans cela, les praticiens de l’implant cochléaire ne produisent que la sonorisation de l’enfant ou de l’adulte sourd mais ratent totalement l’objectif d’une parole pleine [9]. Sans cela, la parole du psychothérapeute ne produit que des robots soumis. Si l’on veut bien considérer que l’enfant sourd, comme tous les enfants, est un être de sentir déjà engagé dans une sensorialité transmodale et dans un monde de langage qui ne se réduit pas à sa modalité sonore, alors son expression n’est plus un problème, du moment qu’on écoute ce qu’il a dire et qu’on ne cherche pas le remplir de la parole d’autrui [10]. Si l’on n’oublie pas que l’adaptation repose sur le sentir partagé, on ne cherchera plus à imposer à l’enfant des objectifs qui nécessitent de sa part des efforts incessants et une soumission absolue au mode d’être qu’on lui impose.
De plus, les techniques sont souvent génératrices de divisions. Non seulement elles assignent les êtres à des places bien définies – d’une côté, les soignants, les rééducateurs, les professionnels, de l’autre, les soignés, les rééduqués, les usagers, mais encore elles divisent le sujet en une multitude de paramètres déshumanisants. Les tableaux de performances, les statistiques, les indices de réussite de compréhension d’une syllabe articulée par les personnes implantées ou de prononciation d’un mot ou de phrases entières réduisent le sujet à des performances de morceaux de discours qui n’ont rien d’un accès plein et entier à la parole. On entend ainsi souvent dire que les implants sont des techniques révolutionnaires qui réhabilitent l’audition, – mais que le sujet reste toujours quand même sourd, – mais qu’il ne peut discriminer les phonèmes dans les conditions de conversations bruyantes ou de fond sonore continu, – mais qu’il ne peut utiliser son implant dans des circonstances dont la liste est fort longue. En somme, en laboratoire, en termes de résultats partiels, l’implant est « parfait ». Dans la vie quotidienne, toutes données confondues : environnement, conditions d’échanges verbaux, disposition du moment (fatigue, humeur, etc.), les implants peuvent non seulement ne pas être utiles à la conversation orale, mais encore nuire à l’intégrité de la personne et produire de la désadaptation. Des observations ont ainsi pu montrer qu’il arrive que les conditions d’utilisation d’un implant, surtout s’il est unilatéral, ce qui est le plus souvent le cas, contrarient l’orientation spontanée du regard des enfants sourds et produire des désorientations sources de troubles du comportement [11] : nous entrons alors dans ce qu’il faut bien appeler une désadaptation induite.
3 – L’épreuve du déni est-elle contingente ?
Nous sommes tous régulièrement confrontés, et je suis persuadé que vous l’êtes autant que moi, à l’expression, de la part des sourds, d’un sentiment d’impuissance face aux nombreux problèmes de la vie quotidienne. Il est courant de les entendre affirmer qu’« ils ne peuvent pas », que telle ou telle tâche est impossible à effectuer en raison de leur surdité. Leur attitude est empreinte de fatalisme : « je suis né sourd, c’est comme ça, que peut-on y faire ? ». La logique qui sous-tend cette attitude est essentialiste car, plutôt que de se rapporter à l’état des relations sociales, elle confère à la nature de la surdité une essence propre. « Je ne pourrai jamais réaliser mon rêve de devenir footballeur professionnel », expliquait un enfant sourd âgé de douze ans, « parce que je n’entends pas le sifflet de l’arbitre ». Il ne lui venait pas à l’esprit que les règles du football ne sont pas naturelles mais instituées par la société, qu’elles pourraient être rendues plus visuelles, de nouveaux règlements remplaçant les anciens afin de faire place aux sportifs sourds dans un dispositif qui accueillerait également les sportifs sourds et entendants. De même, dans le film « Sourds et malentendus » [12], trois adolescentes sourdes cherchent une orientation pour leur avenir professionnel. L’une d’elles voudrait faire du théâtre et se voit répondre : « faire du théâtre, mais vous n’y pensez pas, il faut parler pour faire du théâtre ! ». Il est clair que, dans le dispositif théâtral européen traditionnel, les sourds n’ont aucune place. Mais n’y aurait-il qu’une seule manière de concevoir et de pratiquer le théâtre ? L’inaccessibilité des métiers, des études universitaires, de la justice, de la santé ne tient nullement à la nature de la surdité mais aux défauts d’une organisation sociale et au poids d’une norme définie de manière rigide et univoque. Ce qui est en cause, c’est la nécessité de redéfinir de nouvelles normes, de modifier les dispositifs et le fonctionnement social de telle manière que chacun y trouve une place. L’objectif est bien que chacun, sourd ou entendant, puisse partager également des positions de pouvoir et de responsabilité. Mais cela n’est concevable qu’en se déprenant du préjugé d’une naturalité de la surdité, c’est-à-dire en l’envisageant comme une relation, qui se construit à chaque instant, et non comme une chose.
Rien n’est donc mieux partagé par de nombreux sourds, encore de nos jours, que cette idée que la surdité constitue en elle-même, naturellement, un obstacle majeur et une impossibilité. Comment une telle attitude s’est-elle installée ? Un élément de réponse apparaît dès lors qu’on prend conscience de la chape de plomb de déni qui obnubile le monde des entendants. Le sociologue Bernard Mottez, disparu cette année et qui a fourni tant d’outils conceptuels aux chercheurs de la surdité et aux sourds comme aux entendants, disait que les sourds, confrontés aux entendants en général et aux professionnels de la surdité en particulier, font quotidiennement l’expérience du déni [13]. Comment ne pas mettre en effet en regard ce sentiment d’impuissance des sourds et le déni, décliné sous toutes ses formes et en permanence par la société entendante, de leur existence, de leurs capacités et de leur surdité même ? Nous connaissons bien les formes extrêmes que ce déni d’existence a pu revêtir, comme en témoignent le discours bien connu d’Alexander Graham Bell à l’Académie des Sciences en 1883 [14], qui souhaitait s’opposer à « la création d’une variété sourde de la race humaine » et, à un degré de plus, le livre des théoriciens nazis Karl Grabe et Alfred Hoche au titre on ne peut plus clair « La destruction des vies qui ne méritent pas d’être vécues » [15]. Le fondement de ce déni est la conviction de l’inégalité des sourds et la peur engendrée par l’étrangeté supposée de cette catégorie de population. Certains, comme Albert Régnard, inspecteur général du ministère français de l’intérieur, l’affirmaient en 1902 sans ambages : « Tout le monde sait que les Sourds-muets sont des êtres inférieurs à tous égards : seuls, les professionnels de la philanthropie ont déclaré que c’étaient des hommes comme les autres » [16]. Je pourrais tout autant citer des exemples actuels, tirés de la vie de tous les jours et qui laissent moins de traces. Telle jeune patiente sourde me racontait qu’une mère entendante s’était un jour offusquée à l’idée de lui confier la garde de son fils entendant. Il lui semblait naturel qu’un entendant soit en mesure de garder un enfant sourd mais l’inverse lui paraissait invraisemblable. Autre exemple : la sociologue Sophie Dalle-Nazébi cite le témoignage de sourds au travail : « Nous sommes diplômés et formés à notre profession. Nous possédons des permis de conduire en bonne et due forme. Nous conduisons (pour certains depuis 26 ans) nos usagers, sans incident. Nous ne comprenons pas l’attitude et la décision du médecin du travail de nous interdire de conduire des véhicules dans le cadre de l’exercice de nos responsabilités professionnelles » [17]. Ou encore, à propos de ceux qui voient dans la présence d’interprètes la satisfaction des besoins des sourds mais oublient que les entendants sont dans le même besoin vis-à-vis des sourds : « Il m’est arrivé déjà, par le passé, qu’un interprète pour lequel il y avait eu réservation me fasse faux bond. J’étais en colère. Mais j’étais la seule en colère! J’avais envie que les autres [les collègues entendants] disent aussi que ça n’allait pas, qu’ils n’étaient pas d’accord. Je voulais qu’ils participent, qu’on partage ça. Mais non. Il n’y avait aucune implication. Et ça, ça m’a mis mal à l’aise. Je n’ai pas compris » [18].
Si le sentiment d’impossibilité est donc si communément partagé par les sourds, ce n’est nullement en raison de la « naturalité » de la surdité. Il y a tout lieu de le considérer comme l’effet inéluctable des manifestations quotidiennes et multiformes d’un déni qui conteste aux sourds le droit et la possibilité de contribuer à toute vie familiale, sociale, économique, artistique ou politique. Comme le soulignait Mottez, tout se passe comme si la société n’attendait rien des sourds : « Les entendants se soucient beaucoup du sort des sourds, se préoccupent de les réformer, de les changer, de les adapter, de les intégrer – mais en fait elle ne les écoute pas, et plus encore elle n’en attend rien puisque ce sera toujours aux entendants de décider ce qui est bon pour eux. […] Il en est des groupes sociaux comme des individus, ils n’existent au monde, ils n’y participent, ils n’y apportent et n’en reçoivent que pour autant qu’ils s’y présentent et s’y affirment dans leur spécificité. Les exclus, les périphériques, les marginaux seraient alors ceux qui, en raison de ce qu’ils sont, n’apporteraient rien. Ou plus exactement ceux dont on n’attend rien et/ou dont on ne veut surtout rien recevoir. Ceci parce qu’on estime, à tort ou à raison, qu’ils sont incapables d’un apport véritable ou que cet apport ne peut pas être bon » [19]. Les sourds sont ainsi pris en tenaille entre une indifférence qui maintient l’exclusion quotidienne, et des décisions intéressées mais qui ne les prennent absolument pas en compte. Prendre en compte les sourds, se mettre à l’écoute des sourds avant et plutôt que de les prendre en charge, c’est ce que recommandait il y a quelques semaines, dans le sillage des analyses de Mottez, Didier Sicard, président honoraire du Comité national consultatif d’éthique de France. Ce conseil rejoint la revendication des sourds français, à travers le Réveil sourd, et celle des étudiants sourds nord-américains qui s’est exprimée en 1988 dans le mouvement « Deaf President Now » à l’université Gallaudet de Washington. Un slogan, repris par de nombreux mouvements en faveur de l’empowerment et que vous connaissez tous résume l’esprit de ces mobilisations : « Nothing about us without us ».
Voici deux autres exemples. Pour la première fois dans l’histoire récente, une association, Sourds en colère, est intervenue dans un congrès d’oto-rhino-laryngologie qui se tenait à Lyon en 1993. Des manifestants sourds sont entrés en nombre dans la salle du congrès, vociférant et utilisant des sifflets stridents, et ont apostrophé les médecins pour clamer leur opposition à la politique d’implantation cochléaire. Pour la première fois, les médias ont découvert, non sans étonnement, que l’on pouvait ne pas embrasser les idéaux de la récupération auditive. Des journalistes se sont même gaussés que des sourds puissent faire un tel pied de nez à la norme et ont qualifié d’obscurantiste et de rétrograde l’idéologie des manifestants. Il n’empêche : ce mouvement a ouvert la voie à l’idée qu’il n’y avait pas d’unanimité face aux implants cochléaires et que ce « progrès » pouvait être discuté voire contesté. Cette protestation a ainsi permis qu’une instance officielle, le Comité national consultatif d’Éthique, soit saisie et émette, pour la première fois, des réserves sur les pratiques d’implantation. Un autre exemple est celui de l’hôpital la Salpêtrière où je travaille. Pendant plusieurs années, l’unité de soins des sourds avait rencontré de graves difficultés de fonctionnement en raison de divergences d’orientations entre l’équipe et les gestionnaires de l’unité, divergences qui menaçaient la poursuite de ses travaux et ruinait l’accès des sourds à tous les types de soins. En mai 2006, des usagers sourds de l’hôpital et des membres d’associations de sourds occupèrent les bureaux de la direction de la Salpêtrière pour exiger des changements. Les média relayèrent l’information (« À la Salpêtrière, les sourds se font entendre ») et le rapport de force pencha en leur faveur. Les revendications de l’équipe trouvèrent enfin un écho positif, donnant un nouveau départ au développement des soins adaptés aux besoins de la population sourde. Je me demande encore ce que l’unité serait devenue si les sourds ne s’étaient mobilisés pour défendre leurs droits et n’avaient clamé que, désormais, il faudrait compter avec eux.
Ce phénomène de la prise de parole des sourds, en réaction au déni et que j’ai décrit dans un contexte social, je le rencontre aussi dans les consultations individuelles de patients sourds. Il est fréquent que je me trouve face à la scène suivante, qui est aussi l’une de celles du film « Au pays des sourds » de Karim Miské [20] : une mère entendante est assise face à moi, aux côtés de son fils adulte sourd présenté comme le patient qui pose problème. Tous deux me regardent sans se regarder entre eux. La mère me parle oralement, le fils en langue de signes. La mère ne comprend rien aux signes, le fils n’entend rien de la voix de sa mère et depuis longtemps ne fait plus d’effort pour la comprendre. Après qu’il s’est exprimé, sa mère me demande : « qu’est-ce qu’il dit ? ». L’incommunication est totale. Voilà deux êtres qui se sont côtoyés pendant des années et qui n’échangent rien d’essentiel entre eux sans la présence d’un tiers. Bien souvent, le parent s’étonne des propos du fils ou de la fille quand il entend l’interprétation que l’interprète ou moi-même en faisons : il découvre, ou redécouvre s’il l’a oublié, que son enfant a quelque chose à dire de sensé et qu’une vérité cherche là à s’exprimer. Stupéfaction, sidération devant l’inattendu du propos et la capacité qu’il révèle.
Encore un exemple. Il est non moins fréquent que les premiers entretiens avec un patient sourd soient malaisés. Le patient ne répond pas aux questions que je lui pose ou alors il répond à côté (« Quelle école avez-vous fréquentée ? – Oui), il donne l’impression de ne pas même comprendre qu’il s’agit d’une question. Je ne manque pas alors de me demander : le patient présente-t-il un retard mental ? Ou une personnalité psychotique ? Ou peut-être une carence linguistique ? Je reste patient et j’insiste pour reformuler ma question, jusqu’au moment où j’abandonne parce que je vois bien que mes efforts n’aboutissent à rien. Le patient saisit alors parfois cette occasion de mon silence contraint pour commencer à s’exprimer, et me montrer le chemin que lui seul connaît et que je ne pouvais découvrir tant que je l’assaillais de mes questions. Il « signote » puis s’affirme de plus en plus et de mieux en mieux, parlant de choses diverses qui n’ont rien à voir apparemment avec l’enjeu de l’entretien. Il suit sa pensée, il me mène dans des contrées inattendues. Il se ferme à nouveau si je recommence à poser des questions, pour reprendre là où son discours s’était interrompu quand je finis par me taire. Il m’invite à visiter son univers mental, à le recevoir tel qu’il se le configure lui-même et donc – enfin – à l’écouter, à faire l’effort de ne pas lui poser de questions et à le suivre dans sa logique propre. Émerge ainsi une parole signée, d’abord hachée et tâtonnante, souvent incohérente, dispersée et parfois d’apparence illogique, empreinte d’une colère, d’une révolte ou d’un mépris qui peuvent enfin être entendus, et qui peu à peu s’organise pour dire sa vérité en triomphant des obstacles et des dénis qui ont barré la route à son expression. L’écoute de cette parole singulière représente, me semble-t-il, le fondement, la condition sine qua non de la reconnaissance d’existence. Elle ne peut se déployer que dans la mesure exacte où le déni est combattu, et vous imaginez aisément que je ne saurais moi-même être exempt d’attitudes de déni. Sur le plan individuel, il s’agit pour moi de comprendre que je ne comprends pas cette parole de sourd ou de sourdaveugle qui cherche à se frayer un passage vers moi. Si cette parole est porteuse d’un sens que je n’imaginais pas, pour ne plus l’estimer insensée je dois admettre qu’il y a d’autres façons d’entendre ce qui vient d’être dit et que le patient m’a invité à faire un voyage imprévu, hors des sentiers battus, hors de la conception restreinte de mon rapport au monde. Il faut donc que je suspende ma configuration mentale habituelle, que je me déleste de mes certitudes, que je me déprenne du prêt-à-porter de la pensée et des attitudes corporelles qui me sont si coutumières pour accéder à une compréhension nouvelle de la situation. Au plan des relations individuelles comme à celui de la société, il me faut créer un vide et faire de la place à l’autre pour que celui-ci soit pris en compte. Lorsqu’il arrive que l’organisation sociale ou dans le cadre des soins les soignants refusent d’accorder cette place, c’est alors aux nouveaux acteurs ou aux patients de bousculer les traditions pour rendre visible leur existence.
Mais, pour nous professionnels, quelles sont les conditions pour que cette affirmation d’existence des sourds soit effective et que le déni soit efficacement repoussé ?
4 – Remarques sur les chemins de l’émancipation
La condition première est que soit posée d’emblée l’égalité des intelligences. Il s’agit là d’un acte fondateur qui consiste, comme le philosophe Jacques Rancière nous invite à le faire, à poser un principe qui a une valeur axiomatique et que le philosophe formule de la manière suivante : « L’égalité est une présupposition, un axiome de départ ou elle n’est rien ». C’est par l’affirmation que « chacun se considère égal à tout autre et considère tout autre comme égal à soi » que l’écoute, l’existence et l’émancipation deviennent effectives. Il est très facile de ne voir dans l’énonciation de ce principe qu’une banalité. L’égalité est inscrite dans la déclaration des droits de l’homme, objecteront certains. Ce n’est pas pour autant qu’elle est mise en œuvre dans les actes des hommes. Si elle ne se démontre pas, c’est qu’il n’y a pas lieu de la diviser ou de l’appliquer à des catégories particulières : les compétences en savoir ou en pratique particulières, par exemple l’intelligence des mathématiques, peuvent bien varier selon les êtres humains. L’égalité des intelligences est un principe indivisible et se pose d’entrée de jeu. Du point de vue psychothérapeutique, il n’y a pas d’intervention possible si l’on ne pose pas le préalable de l’égalité des intelligences, celle du thérapeute et celle du patient [21]. Ce n’est qu’en partant du présupposé d’une capacité du patient égale à celle du thérapeute, qu’une guérison du symptôme est possible. Comme thérapeute, je me réduirais à l’impuissance si je considérais ne pouvoir miser que sur l’incapacité du patient : ce serait peine perdue de le recevoir. Et c’est aussi pourquoi le discours de la déficience que tiennent certains professionnels du handicap ne peut mener qu’à la pérennisation de la perception des sourds et sourdaveugles comme des êtres lacunaires et à leur maintien dans une position de soumission. Lorsque les sourds font valoir qu’ils sont bel et bien là, qu’ils n’entendent pas qu’on décide à leur place et sans leur participation, ils affirment leur égalité. Leur parole fait irruption et remet en cause le partage traditionnel des pouvoirs, des pratiques institutionnelles et des discours. Jacques Rancière nomme ce processus la mise en crise des partages.
Qu’attendre, alors, des techniques d’adaptation ? Simplement, qu’elles ne produisent pas de la désadaptation ou, comme on le dit dans le vocabulaire médical, des souffrances iatrogènes. Qu’elles n’apportent pas d’eau au moulin des cloisonnements et des préjugés sociaux. Qu’elles ne rendent pas fous les enfants sourds ou sourdaveugles. Qu’elle ne jettent pas les adultes sourds dans les affres de la quête d’une identité dans l’errance et la confusion entre un statut d’entendant atteint de déficience auditive ou de sourd qui entend. Le dépistage néonatal ultraprécoce systématique de la surdité ne devrait pas risquer de désintégrer le lien d’amour prêt à s’établir entre le nourrisson et ses parents. On pourrait s’interroger si la médicalisation croissante de nos sociétés et la définition univoque d’une norme exclusive vont bien dans le sens de l’expansion de la vie. J’ai tenté d’indiquer quelques pistes qui mériteraient d’être explorées plus avant. Comme le dit la sagesse populaire, on ne commande à la nature qu’en lui obéissant. Il ne faudrait donc pas prédéfinir les conditions d’existence d’autrui mais se laisser guider en s’appuyant sur les dispositions de chacun et en leur faisant confiance. Il ne s’agit pas de subir aveuglément, mais bien au contraire de favoriser l’avènement du sujet en prenant appui sur ce que la vie offre à chacun. L’émancipation est l’affaire de chaque sujet. Nous savons, par exemple, que la naissance d’un enfant soumet les parents à la nouveauté, à l’imprévu et au hasard. Mais nous vivons dans des cultures qui ont érigé en valeurs suprêmes le contrôle, le refus du risque, l’effort, la recherche de performances et le chacun pour soi, là où les valeurs d’acceptation, le lâcher prise, l’insouciance, la solidarité de l’entourage et avec l’entourage et le partage inconditionnel de l’amour entre les membres de la famille pourraient mettre l’existence tout entière en mouvement et assurerait le déploiement de la vie. La culture de la réciprocité, la poursuite de la multiplication des ponts culturels entre communautés, le décloisonnement des rôles prédéfinis qui atomisent les êtres, le refus d’une politique fondée exclusivement sur la loi du marché représentent nos principaux atouts, nos chances d’une adaptation réussie. C’est pourquoi l’adaptation est affaire de valeurs, parfois conflictuelles, et non de techniques.
[1] Giorgio Agamben résume ainsi la définition du dispositif proposée par Michel Foucault en 1977 : « 1) Il s’agit d’un ensemble hétérogène qui inclut virtuellement chaque chose, qu’elle soit discursive ou non : discours, institutions, édifices, lois, mesures de police, propositions philosophiques. Le dispositif pris en lui-même est le réseau qui s’établit entre ces éléments. 2) Le dispositif a toujours une fonction stratégique concrète et s’inscrit toujours dans une relation de pouvoir. 3) Comme tel, il résulte du croisement des relations de pouvoir et de savoir. » Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ? Paris, Éditions Payot et Rivages, 2007, p. 10-11.
[2] Alexandre Rodenbach, Les aveugles et les sourds-muets, Bruxelles, Éditeur J. – A. Slingeneyer Aîné, 1855.
[3] François Roustang, La fin de la plainte, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 44.
[4] « Il n’est pas permis d’être sourd. La surdité n’a de place – dans nos sociétés en tout cas – que par les efforts faits pour en venir à bout ou pour en masquer l’existence. Cela peut se traduire du côté des intéressés par un souci constant de donner le change et par le développement pouvant aller jusqu’à un degré de raffinement extrême, de l’art de « feindre », de « faire comme si ». Le plus étonnant est que, dans ce souci de ne pas paraître sourd aux yeux des autres, le sourd peut en venir à oublier lui-même qu’il l’est. Ainsi – à moins que l’art de fuir ne soit chez lui aussi développé que l’art de feindre – il se met régulièrement dans des situations incommodes où il n’est voué qu’à la demi-réussite. Oubliant sa surdité, habitué comme par devoir à n’en pas faire cas, ce n’est pas à elle qu’il attribue se échecs, mais à lui seul. D’où la dépréciation de soi si fréquente chez les sourds n’ayant pas appris auprès des leurs comment le devenir. » Bernard Mottez, Aspects de la culture sourde, 1985, in Les Sourds existent-ils, textes recueillis et présentés par Andrea Benvenuto, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 158.
[5] « Un vivant est un corps organisé par une forme qui le projette comme corps dans un environnement auquel il doit s’adapter. Par l’intermédiaire des sens, ses mouvements déterminent son rapport au milieu, qui à son tour le détermine ; alors qu’il marque ce milieu de son action, il n’est que la résultante des mouvements qui s’y produisent. » François Roustang, La fin de la plainte, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 43.
[6] Circulaire DHOS/E1 n° 2007-163 du 20 avril 2007.
[7] Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Paris, Payot, 1963.
[8] Francis Corpataux, professeur de pédagogie musicale, chercheur à l’université de Sherbrooke et spécialiste des chants d’enfants, ironise en demandant « Est-ce qu’on dit à un enfant : attends, quand tu sauras bien parler, alors tu parleras ? » (propos recueillis par Patrick Labesse et publiés dans le journal Le Monde, mardi 9 juin 2009, p. 22). Reconnaissons qu’il en va bien souvent ainsi avec les enfants sourds.
[9] cf. André Meynard, Surdité, l’urgence d’un autre regard, Toulouse, Éditions ERES, 2008.
[10] « Un autre motif du discrédit dans lequel est tombé la mimique, c’est l’engouement des familles pour les méthodes d’enseignement qui tendent à déguiser l’infirmité de leurs enfants par la suppression de la mimique et par l’enseignement d’une certaine parole. Cet engouement est fort respectable, mais il est mal inspiré. Les familles ignorent que le plus grand dédommagement aux tristesses qu’entraîne la perte du sens de l’ouïe, c’est l’exercice de la pensée, la vie en soi, et comme cet exercice ne peut se produire qu’avec le secours d’un langage physiologique, il s’ensuit que la sollicitude des parents aggrave, au lieu de les diminuer, les tristes conditions d’existence des enfants ». Édouard Fournié, médecin-adjoint à l’Institut des sourds-muets de Paris, De l’instruction physiologique du sourd-muet, Compte-rendu du congrès périodique international d’otologie tenu à Milan entre le 6 et le 9 septembre 1880, Trieste, Imprimerie G. Caprin, 1882, p. 102.
[11] Yvette Zegers de Beyl, in Éthique et implant cochléaire – que faut-il réparer ? Actes de congrès, Fonds national de la recherche scientifique de l’université libre de Bruxelles et de l’université de Namur, Presses universitaires de Namur, 2006.
[12] Réalisé par Igor Ochronowicz, Paris, 2009, pour la chaîne de télévision France 5.
[13] Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, in Psychanalystes, cahier spécial « La parole des Sourds, psychanalyse et surdités », Paris, n°46-47, pp. 49-58.
[14] Alexander Graham Bell, Memoir upon the formation of a deaf variety of the human race, Washington, National Academy of Science, 1883.
[15] Karl Grabe et Alfred Hoche, Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens : Ihr Maß und ihre Form, Leipzig, Verlag von Felix Meiner, 1920.
[16] Albert Régnard, Contribution à l’histoire de l’enseignement des Sourds-muets, Paris, Librairie de la Société du Recueil Général des Lois et des Arrêts, 1902, p. 3.
[17] Sophie Dalle-Nazébi, Quand les salariés sourds prennent la parole, congrès de l’Association Française de Sociologie, « Violences et société », 14 – 17 avril 2009, Université Paris Diderot, Réseau de Travail n° 25 : « Travail, organisations, emplois ».
[18] Ibid.
[19] Bernard Mottez, La sortie du ghetto, 1985, in Les Sourds existent-ils ?, textes recueillis et présentés par Andrea Benvenuto, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 328.
[20] Karim Miské, Paris, La parole des sourds, France 5, 2000.
[21] « Le mot d’égalité des intelligences résume ici deux significations fondamentales : premièrement, que toute phrase dite ou écrite ne prend sens qu’à poser un sujet capable, par une aventure correspondante, d’en deviner le sens dont nul code ou dictionnaire premier n’assure la vérité ; deuxièmement, qu’il n’y a pas deux manières d’être intelligent, que toute opération intellectuelle emprunte le même chemin, celui de la matérialité traversée par la forme ou le sens, que son foyer est toujours l’égalité présupposée d’un vouloir dire et d’un vouloir entendre. » Jacques Rancière, Aux bords du politique, Paris, Gallimard, 2004, p. 158-159.