SUPPLÉMENT : Qu’est-ce que la « question » du réchauffement climatique ? / Samuel Zarka

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Ce supplément au dossier « Ecologie/écologisme » est paru le 20 avril 2010.

En réponse à une demande plurielle, je reviens sur l’édito du précédent dossier de Droit de Cités, « Ecologie/écologisme » et en particulier sur la partie théorique : « I – Retour sur la « question » du réchauffement climatique » (l’autre partie s’en tenant à la présentation des collaborateurs du dossier). C’est pour moi l’occasion de développer l’argumentation entamée alors.

Cet édito fonçait vers une question de cohérence d’un discours écolo-doctrinaire prenant appui sur une conception de la science me semblant être un scientisme ou un opportunisme (selon les cas).

Le déploiement de la propagande pro-écologisme ces derniers mois — quoiqu’en sourdine actuellement — exprime bien un enjeu, mais qu’il faut violemment dissimuler. Rappelons à titre d’exemples significativement troubles le lobbying d’Al Gore, dont la partie liée avec l’industrie « verte » a été suffisamment démontrée [1] et la projection du film Home d’Arthus-Bertrand la veille d’un scrutin. Toutes les diversions sont possibles quand il s’agit d’éluder l’essentiel : l’écologie vient se substituer à la problématique sociale par temps de crise [2]. La « coïncidence » entre crise économique et soulèvement médiatique de la question écologique ne fait-elle pas question?

En ces termes, la question écologique est posée politiquement : il s’agit de savoir qui a intérêt à propulser sur le devant de la scène médiatique une « urgence » du réchauffement dont la perspective de pensée est le cataclysme. Et c’est dans ce cadre politique que le précédent édito entendait poser la question de la rhétorique urgentiste, notamment quand elle en appelle à la caution scientifique.

I — De la scientificité à l’idéologie scientiste

Le fond de notre édito consistait à poser la question de savoir quelle conception de la science justifie de la considérer comme caution inconditionnelle d’une prérogative politique. J’abordais cette problématique en deux temps : à travers l’idée de science d’abord, à travers la figure du scientifique ensuite.

L’analyse proposée avait cette fonction : poser la question du fondement de la thèse réchauffiste telle que la soutiennent des idéologues fraîchement débarqués dans les pages des journaux censément les plus sérieux. Des relais médiatiques qui, à fortiori, sont le plus souvent des journalistes, c’est-à-dire précisément pas des spécialistes, encore moins des scientifiques. Les informations données sont alors de seconde main. Elles s’accumulent dans un ordre apparent, superfétatoire, péremptoire. Il en est appelé à la « caution scientifique » (la source supposée) pour valider le propos. Cette caution doit confirmer le dire d’un autre discours que le sien : un discours médiatique, impliquant idéologie et politique [3].

Ce que je pointais était l’opportunisme de la « scientificité » revendiquée, puisqu’en l’occurrence la « science », physico-chimique en général, climatologique en particulier, invoquée pour justifier le propos, l’est selon une exagération outrancière de son pouvoir de véridicité.

Je me tiens à la question purement scientifique d’abord. L’argument scientiste repose sur l’idée que ce qui fait l’objet d’une démonstration scientifique est absolument irréfutable. Nous tenions simplement à rappeler que cette irréfutabilité est en fait relative. Relative aux modèles scientifiques en usage un moment m de l’histoire. Ici je ne fais que rappeler la thèse de Thomas Kuhn sur les paradigmes [4] : il n’existe pas, et n’a jamais existé, une science, fusse en voie continue et régulière d’extension et de conquête de résultats, définie à partir de principes posés une fois pour toutes. En fait, il y a, historiquement, une succession de modèles d’interprétation de la réalité physico-chimique, qui se succèdent, et se substituent les uns aux autres. De la caducité effective d’anciennes hypothèses, il ressort que ces modèles ne peuvent, je le souligne, qu’interpréter cette réalité physico-chimique. Le modèle est éprouvé expérimentalement dans son efficacité. Il doit permettre de faire des prédictions, selon un certain nombre de paramètres qu’il produit. Il y a un espace entre le réel brut, et sa compréhension scientifique, partielle, hypothétique. Les sciences physico-chimiques sont donc humbles : elle se savent approximatives. Pour cette raison, invoquer « la science » comme médiation absolue du savoir vrai est délirant.

Mais de surcroît, ce scientisme se veut prescripteur de vérité au-delà du champ strictement scientifique en prétendant intervenir sur le terrain politique. C’est alors confondre deux domaines, comme nous allons le voir.

II — Des interventions raisonnables

Dans le débat écologiste, et concernant la question du changement climatique, combien rares sont les interventions émanant directement de scientifiques. Quand toutefois certains d’entre eux prennent la plume, ils leur arrivent de tomber dans la confusion des domaines de véridicité dans laquelle s’engouffrent les journalistes-relais : depuis leur compétence scientifique, ils s’expriment politiquement selon un dogmatisme péremptoire. Ainsi du second texte publié par Jean-Louis Fellous et consorts (suite à un premier article-charge sur Claude Allègre) dans le magazine Le Monde [5]. Le procédé des « 400 signataires contre Allègre » est ici repris [6] : signant à plusieurs, les auteurs font comme si leur nombre était censé augmenter le « poids » des arguments, cependant que le texte élude les démonstrations, y substituant des appels à la « solidité de la physique », tout en réclamant « un débat honnête et sérieux » concernant les mesures politico-économiques à prendre sous peu. La confusion des rôles, scientifique d’une part, politique d’autre part, est reconduite.

Parmi les interventions les plus conséquentes, dans un cadre journalistique, sur la logique du changement climatique et sa portée politique, celles de Vincent Courtillot se distinguent remarquablement. C’est par exemple le cas des entrevues données sur France Inter et France info à la fin de l’année 2009 [7]. Sur le plan scientifique, il y explique longuement, et avec mesure, ses raisons de mettre en cause les rapports successifs du GIEC. En effet, il émet des réserves, étayées sur les recherches de sa propre équipe, quant à la réalité d’une prépondérance anthropique du réchauffement. En outre, le chercheur insiste sur le fait de la « croyance » scientifique, rappelant qu’elle fait partie de tout processus de recherche en même temps qu’elle en pose la limite. Pour expliquer ceci, Courtillot de rappeler ce b a ba : lorsqu’une question scientifique est considérée comme fermée, c’est qu’on est passé du côté de la religion.

Cette parole de scientifique, il la dissocie de sa parole citoyenne, chacune impliquant un type de raisonnement distinct. Citons-le lors d’une conférence tenue à l’Université de Strasbourg en 2009, et visible en ligne : « Une grande partie de l’acrimonie qui tourne autour du réchauffement climatique vient du fait qu’on confond des débats qu’on doit tenir séparés. Il y a le débat scientifique d’une part, il y a le débat citoyen et politique d’autre part. Les deux sont absolument respectables, mais n’impliquent pas forcément les mêmes personnes. Et quand moi je parle comme citoyen, je ne veux pas donner l’impression que je parle avec l’autorité du scientifique » [8]. Il confirme les deux volets de la « question » du changement climatique, l’un scientifique : à quoi est-il dû, non seulement aujourd’hui, mais en d’autres temps? ; l’autre citoyen : ce changement doit-il avoir une incidence politique, et si oui, laquelle? Sur France Info toujours, Courtillot poursuit en proposant, en tant que citoyen, une liste des priorités environnementales pour les années qui viennent, en commençant, non pas par le changement climatique, mais par le problème de l’eau (dont il rappelle au passage que les pays anciennement industrialisés comme la France ne sont pas les principaux concernés, ce qui ne manque pas de susciter l’idée que dès lors, il y a peu de chance pour que quoi que ce soit de grande ampleur soit entamé sur ce terrain avant quelques lustres).

III — L’éternel retour des hallucinations collectives ?

Les hallucinations collectives sont un fait historiquement avérés. Lorsque le gouvernement étatsunien a décidé de faire croire que Sadam Hussein avait des armes de destruction massives dissimulées, fusse en passant par la présentation d’un flacon supposément empli de poison à l’assemblée générale de l’ONU pour prouver ses dires, de nombreux étatsuniens y ont cru (ou ont accepté d’y croire, ce qui revient au même pour l’analyse qui nous occupe ici). Une crédulité du peuple appuyée sur l’incertitude en période de crise (suite au 9/11). Or la France (entre autres) vit une telle période depuis la crise financière de 2007. Dans un tel contexte, il n’y a pas de raison que certains scientifiques soient exempts de tentations idéologiques exogènes à leur stricte pratique professionnelle mais influant sur elle.

Car la proto-psychose de la catastrophe climatique imminente a bien cette particularité politique : celle de transcender (en apparence) les intérêts divergents, logeant tout le monde, et pour l’écrire littéralement, le monde entier, à la même enseigne.

Et pourtant! du point de vue russe, par exemple, le changement climatique peut être appréhendé comme une bonne nouvelle : une température plus élevée favoriserait l’agriculture dans les étendues froides. A l’encontre de toute transcendance, il y a donc bien, aussi, une relativité politique de l’enjeu climatique (si réchauffement il y a). La version écologiste officielle est tronquée de ce point de vue. Aussi, il y a lieu de poser la question de la perception du changement climatique du point de vue chinois, pour s’en tenir aux cas d’un pays en cours d’ascension industrielle.

Qu’est-ce qui vaut qu’aux Etats-Unis ou en France, la question du changement climatique soit posée en des termes transcendant les autres problèmes? Qu’est-ce qui a motivé, dès les années 1970, une « prise de conscience écologiste » dans les pays de l’Ouest? Pourquoi cette idée est-elle née et pourquoi renaît-elle soudainement, par temps de crise, sous une forme apocalyptique? Sans doute une sociologie de ses tenants nous apprendrait-elle beaucoup à ce sujet. Pour cette raison, avançons quelques éléments de cette sociologie du « catastrophisme ». Ils n’entendent pas mettre en cause les techniques scientifiques de validation de hypothèses, ni la probité des scientifiques travaillant sur la question du changement climatique, sinon les processus idéologico-politiques dans lesquels leurs recherches sont insérées.

L’idéologie catastrophiste, consciemment ou non, a une fonction : celle de conserver des privilèges économiques, au détriment des strates précarisées de la société civile. De substituer à une problématique sociale globale une problématique sociétale partielle — au revers de la portée supposément globale de la question écologique, qui n’est telle que dans l’imagination de ses prophètes. La question devient de préserver un mode de vie fondé sur un déni social de masse, lequel ne date pas d’hier : en France, sa configuration s’est constituée sur les quarante dernières années — ce qui nous renvoie aux prémisses de la désindustrialisation, à la tertiarisation de l’économie, à l’émergence du marché du désir à la fin des années 60 et, pour reprendre la terminologie de Michel Clouscard, à la métamorphose libertaire de la société civile, c’est-à-dire à l’accession de la couche moyenne de la population à la consommation permissive et transgressive — dont la finance structurée est finalement le produit [9]. Or, focaliser un ressentiment politique sur la question de la consommation, comme le fait l’idéologie « décroissante », c’est rater le problème économique dans son ensemble : sur la période concernée, des strates immenses de la population n’ont non seulement jamais accédé à la fameuse « consommation », mais ont connu une détérioration continue de leurs conditions de travail et de vie. Au terme d’un cycle de quarante ans, même les couches moyennes, dans un premier moment bénéficiaires de la « consommation », se trouvent précarisées (cadences infernales dans le tertiaire, dépression salariale, chômage des jeunes et des seniors).

L’accusation écologiste portant sur le productivisme se trompe de problème. « C’est le capitalisme qu’il faut réduire, pas la production » pour citer de nouveau Clouscard [10]. La confusion sur ce point mène l’écologie politique à rencontrer l’intérêt de la finance, l’une comme l’autre étant en lutte contre tout projet industriel conséquent. Décroissance et finance, unies dans la négation de la structure des contradictions sociales, au cœur desquels se trouve l’emploi, donc le projet industriel.

Finalement, il semble que la méconnaissance d’une situation socio-économique, non réductible aux conditions de vie de consommateurs frustrés, détermine la portée idéologique et politique de la science dans la supposée question du changement climatique. Il y a lieu de penser que cette méconnaissance a produit l’ « enjeu climatique » en tant qu’idéologie autorisant le refoulement du conflit social. Et l’écologisme peut devenir un opportunisme : on y puise pour renouveler son plan de carrière. Ainsi don Augustin Legrand qui, suite à la déroute prévisible de la démarche humanitaire des Enfants du chevalier errant, annonçait lors du rassemblement parisien d’Europe-Ecologie, avant les élections régionales [11] : « Nous sommes le nouveau visage de la gauche. » Il réédite alors, mot pour mot, mais avec quarante ans de délai, le discours de la « nouvelle gauche » des années 60 et 70, celle-là même qui avait prétendu faire la révolution en déplaçant les prérogatives sociales vers le sociétal. Bref, Legrand se retrouve dans le même parti que Cohn-Bendit. Et le discours social des Verts se confond dans le paradoxe : se voulant à la fois progressiste et anti-productiviste, il nie ce qui conditionne le bien-être social : le rapport travail/capital. Dans leur foi dans la moralisation climatique, les Verts finissent par polluer le débat politique : dans toute son amplitude, il consiste en une conservation des acquis sociaux de l’après-guerre, à partir desquels peut être reconstituée une structure sociale et productive au service du travail.

Samuel ZARKA

[1] Al Gore, ou comment faire du fric avec l’industrie du CO2, par Ceri.

Pour une argumentation sur ce point : se référer à l’entretien mené avec Dominique Pagani, et notamment le troisième module titré « La complicité objective » ; ainsi qu’au texte de Malakine, « L’écologisme, idéologie alternative ou supplément d’âme du néolibéralisme ? », tous deux disponibles dans le dossier.

[2] L’écologie a, sous le rapport de la diversion politique, la même fonction que le débat sur l’identité nationale, quoique dans ce dernier cas, l’intention séductrice vis-à-vis de l’électorat du FN soit plus prononcée (sans pour autant que la dimension traditionaliste du thème écologiste soit exclusive de cet électorat, bien entendu).

[3] Un seul exemple, synthétique : l’hebdomadaire proposant le « meilleur cru » des publications de la semaine passée dans les journaux du monde entier, Le Courrier international, a consacré un hors-série spécialement dédié à « la catastrophe climatique à venir » sans évoquer un moment la possibilité qu’il n’en aille pas exactement ainsi.

[4] Thomas S. Kuhn, The structure of scientific revolutions, University of Chicago, 1962 ; traduction française par Laure Meyer, La structure des révolutions scientifiques (1983), Flammarion, « Champs sciences », 2008. Voir notamment ch. IX.

[5] Pour l’article de Jean-Louis Fellous, Jean-Charles Hourcade… « Un étonnant effet collatéral du changement climatique. »

Pour une analyse du procédé pétitionnaire en matière de science : « Des scientifiques demandent une “police” de la science », par Serge Galam (3 avril 2010).

[6] A ce propos : « Climat : la fronde de 400 chercheurs contre Allègre »

[7] Vincent Courtillot sur France Info (12 décembre 2009).

Vincent Courtillot sur France Inter (07 décembre 2009).

[8] Vincent Courtillot à l’Université de Strasbourg.

[9] Clouscard, Capitalisme de la séduction, 1981, rééd. Paris, Delga, 2007.

[10] Clouscard, Critique du libéralisme-libertaire, Paris, Delga, 2005.

[11] Augustin Legrand : « J’ai cru aux promesses… »