Sur l’écologisme / Marc Angenot

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L’écologisme qui commence sous nos yeux à élaborer ses rituels culpabilistes est le plus crédible des candidats à une sacralité renouvelée et réinvestie pour le siècle nouveau. Si le problème du monde ci-devant judéo-chrétien est toujours celui d’un Salut par l’ascèse, le salut écologique a, à mon avis, un bon potentiel. Je pense que l’idéologie écologiste qui carbure à l’angoisse des technologies nouvelles, en contraste absolu avec le goût des cheminées d’usine crachant leurs suies roboratives du productivisme socialiste d’autrefois, est une des expressions contemporaines de l’angoisse sacrée comme régulateur social faute de projets communs. Elle est sans rapport de continuité avec la ci-devant pensée progressiste-historiciste mais elle en forme précisément la Umwertung der Werte, l’inversion des valeurs, remplaçant la validation des industries humaines et l’impératif saint-simonienne de la maîtrise de la nature par leur dévaluation au profit du culte inverse de la nature impolluée. «L’écologie entretient au contraire des relations de bon voisinage (…) avec l’attachement à la terre, au passé, à l’identité qui expriment, même modernisés, le vieil atavisme conservateur», remarque Alain Minc. [1]

L’écologisme est non seulement le seul mouvement actuel qui présente un potentiel de mutation en millénarisme, mais en fait, on peut voir en «temps réel» cette mutation s’opérer en Amérique. Des sectes écolo-millénaristes attendent une catastrophe ultime qui engloutira les Pollueurs, suivie d’une régénérescence écologique où ne survivront qu’une poignée de Verts. L’esprit eschatologique, chassé de l’histoire, se réfugie ainsi en une nature réifiée comme de «l’anti-histoire»: c’est une hypothèse élégante qui est celle développée par D. Folscheid. [2]

Si un nouveau syncrétisme doit naître, les quatre ingrédients, victimalisme/culpabilisme, droit-de-l’hommisme, écologisme, pacifisme sont tous disponibles pour une synthèse à venir. On voit déjà l’écologisme et ses variantes les plus mystiques comme l’écolo-féminisme, se combiner tout naturellement avec le New Age et les millénarismes américains. On verra en allemand, la «Petite théologie politique du Mouvement Ökopax [écolo-pacifiste]» extrapolée par Otto Kallscheuer, Glaubens Fragen. Über Karl Marx und Christus und andere Tote. [3]

Quelque chose de gnostique persiste dans le renversement même des valeurs dont je fais état, du progressisme à l’écolo-religiosité : la civilisation industrielle est et demeure, du socialisme utopique à l’écologisme, l’Empire de l’Antéchrist. On perçoit ou entrevoit le potentiel passionnel de zèle de la sacralisation écologique avec son esprit de censure et d’intimidation, sa volonté de rééducation des méchants, son fanatisme possible. La «bonne conscience» des croyants humanitaires et écologiques et l’ébauche de chasses aux sorcières par ces nouveaux enthousiastes complète un tableau psycho-social virtuel conforme à la religio perennis. «L’illusion persécutrice, disait René Girard, sévit plus que jamais». [4]

Marc ANGENOT

D. Phil & Lit., MSRC. Chaire James Mc Gill d’étude du discours social. James McGill Professorshjip of social discourse theory, MPcGill University.

[1] Le nouveau Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1993, 111.

[2] Dominique Folscheid. L’esprit de l’athéisme et son destin. Paris: Éditions Universitaires, 1991. Format poche, éd. revue: Paris: La Table ronde, 2003.

[3] Frankfurt aM: Frankf. Verlagsanstalt, 1991.

[4] R. Girard, Le bouc émissaire. Paris: Grasset, 1982, 64.