Théologie de l’écoute / Martin Kaltenecker

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1979

Résonances théologiques de l’écoute chez Pierre Schaeffer

1.

Dans le Traité des objets musicaux Schaeffer propose de déplier l’écoute en quatre attitudes. On peut les saisir en s’aidant des images reproduites sur la couverture du livre : une portée avec un fa dièse en pizzicato (en haut à gauche) ; la main d’un violoniste jouant cette note (en haut à droite) ; une oreille (en bas à droite) ; la vue rapprochée de la corde en train de résonner et le spectrogramme qui en résulte (en bas à gauche). Comme la plupart des schémas proposés dans le Traité, les quatre cases doivent être parcourues dans le sens de l’aiguille d’une montre, en partant de celle en haut à droite (la main), pour aboutir à celle en haut à gauche (le fa dièse). Quatre verbes sont alors utilisés pour décrire quatre activités différentes. En écoutant je vise ce qui m’intéresse, je vise autre chose que le son, je passe à travers lui, je m’intéresse à sa source (le bruit d’un moteur indique son régime, ou tel son pincé, le violon  [1]. Une perception plus passive de « ce qui m’est donné  [2] » est nommée ouïr (bruits d’un paysage, bribes de musique…). L’entendre est lié par son étymologie à l’intention [3], c’est une écoute « en vue de… », où « l’objet est creusé  [4] »; elle consiste à déceler des mécanismes, une facture, des structures internes (l’oscillogramme du son). Enfin, le comprendre est un décodage plus abstrait et réflexif, mobilisant des codes culturels (je comprends un amalgame de sons comme un accord de septième de dominante ; d’où le même son pincé noté comme fa dièse).

On peut se demander si le trajet total des écoutes débouche sur la « compréhension » (4) comme accomplissement ou synthèse. Schaeffer y lit certes un « prendre avec soi » : « je comprends ce que visais en écoutant » et je comprends ce que je « choisissais » (le choix étant du côté de l’entendre, le 3), ce qui indique une subsomption ou du moins une progression vers une objectivité susceptible d’être fixée par la notation. Mais le verbe comprendre est aussi repris à Paul Valéry [5], chez qui il indique une dissolution du concret (ici : écoutes 1 et 2) que Schaeffer, inventeur de la « musique concrète », doit pourtant refuser. On penchera donc plutôt pour l’idée d’une circularité : il s’agit de parcourir, voire de superposer indéfiniment les quatre attitudes.

Toute cette théorie est aussi liée à une mystique de l’effort. Elle encadre très concrètement un travail mené au sein du Service de la Recherche fondé par Schaeffer en 1960 au sein de l’ORTF. En s’aidant de moyens techniques, de petits groupes de musiciens, techniciens, compositeurs mettent leur oreille en commun pour tenter de déceler par exemple le « caractère dominant » de tel ou tel son, afin d’aboutir à une « morphologie » et « typologie » générale du son. Cette activité forme l’oreille, elle est « expérience de va et vient, d’observateur qui s’observe [6] » et le chercheur doit « consentir à quelques années d’un réapprentissage de l’entendre [7] ». Idée ancienne que Schaeffer met déjà en scène dans le chapitre 16 de son œuvre radiophonique La Coquille à planètes (1942-44), où le héros est soumis à une initiation bergsonienne consistant à scruter la dissolution d’un morceau de sucre dans l’eau ; c’est parce qu’il sait à la fois l’observer de près et s’émerveiller du phénomène qu’il passe l’épreuve. Dans ces mêmes années, Schaeffer s’appuie sur Valéry pour décrire une écoute « poétique » qui ne traverse pas le sensible pour saisir le message : c’est là selon l’écrivain la fonction de la prose, où le son est d’une certaine façon dissous par le sens ; le poète au contraire veut « remarquer, respecter et reprendre » le sensible [8]. Pour Schaeffer, cette capacité consiste par exemple à écouter « d’une oreille concrète » les palabres des délégués d’un congrès international  pour percer – au-delà ou en deçà du sens des mots – « le mécanisme parfaitement illogique » des argumentations [9].

Dans le Traité, Schaeffer adopte la notion de « réduction » eidétique d’Edmund Husserl pour tenter de mieux décrire une attitude qui conjoint la perception efficace et la concentration émerveillée. L’objet sonore est assimilé à un « objet intentionnel », fruit des « actes de synthèse » de l’esprit, et l’écoute acousmatique (celle où la source demeure invisible), à l’épochè husserlienne, comme « mise entre parenthèses, étonnement », « abstention de toute thèse » (ici, sur l’origine réelle d’un son) et « mise hors circuit de tout jugement  [10]». Et cette attitude exige un effort puisque, malgré tout, l’événement (la cause et la source du son) demeure « sous-jacent à tout objet sonore [11] ».

Ce dont on se rapproche alors est ce que Schaeffer nommera très souvent le « langage des choses ». Tout comme la réduction eidétique crée d’une certaine façon l’objet intentionnel, la radio ou le cinéma, par zooms et plans rapprochés, font advenir ce langage : « Les choses ont à présent un langage [12] ». La perception poétique à la Valéry, les médias techniques et la réduction husserlienne sont donc trois variantes d’un même dispositif attentionnel, d’une disponibilité à ce langage des choses auquel l’explicit du Traité fait allusion : « Les objets sonores, les structures musicales, lorsqu’elles sont authentiques, n’ont plus de mission de renseignement : elles [sic] s’écartent du monde descriptif [celui de l’analyse scientifique, MK], avec une sorte de pudeur, pour n’en parler que mieux au sens, à l’esprit et au cœur, à l’être entier, de lui-même enfin. La symétrie des langages s’établit ainsi. C’est l’homme, à l’homme décrit, dans le langage des choses [13] ».

Le désir d’entendre le langage des choses étaye d’abord une activité scientifique qui, en s’inscrivant entre autres dans la psychoacoustique et une  recherche sur la perception du timbre, vise une classification générale du sonore. Mais cette écoute détermine aussi un idéal esthétique. Aux musiques subjectives et expressionnistes Schaeffer préfère celles qui se rapprochent de la nature : au « mot à mot », à la « rhétorique », au « bavardage »  de Mozart, il oppose l’œuvre de Bach, objective et universelle, qui est « un microcosme, un fragment du monde », une « image de l’Univers [14] ». On ne trouvera guère chez Schaeffer de réflexions au sujet du rythme ou de l’harmonie, mais davantage sur la mélodie, objet sentimental lié à l’enfance (sa mère fut professeur de chant [15]) et à une adolescence formée par le scoutisme (« Tous les jours nous avons à Paris de grands concerts, rarement nous avons une belle bande de jeunesse de chez nous qui chante à plein cœur [16] »). D’autres remarques portent sur la sonorité : c’est par exemple ce que l’oreille de Schaeffer retient chez Wagner (qui a « recours aux cuivres beaucoup plus pour le son cuivré que pour la mélodie qu’il leur confie [17] »). Quant à la forme musicale, on l’obtiendra par le plan rapproché : s’il y a structure en musique, c’est celle interne aux objets, et non pas ce qui les rassemblerait en une forme dépassant cette juxtaposition réussie que Schaeffer vise dans ses propres études de musique concrète.

2.

Il faut marquer par ailleurs les valeurs théologiques sous-jacentes aux développements schaeffériens sur l’écoute. Les influences dont nous allons parler ne composent certes pas un système articulé, elles sous-tendent plutôt une pensée en acte. On peut suivre chez Schaeffer l’accommodation de notions philosophiques et théologiques, où tel concept, retaillé, filtré pour être plus efficace, dévié, regardé sous un angle particulier, sert à colmater ou à catalyser la pensée, ainsi que son intégration pratique dans une forme de vie. Il ne s’agit pas exactement ici de construire une « théologie » de l’écoute chez Schaeffer (qui s’est lui-même éloigné du catholicisme dès la fin de la guerre) mais de souligner une activité de certains motifs, qui, même déviés, restent opérants à l’arrière-plan. De façon générale, la circulation des concepts abstraits doit s’étudier aussi bien par l’analyse de l’enchaînement d’un système rigoureux à un autre (les philosophes qui se commentent entre eux) qu’à travers ce bâti que constitue tel univers individuel fait parfois d’éléments mal ajustés, mais qui abrite le sujet.

Ainsi, la formule du « langage des choses » est davantage qu’une métaphore, mais se réfère à la longue tradition du « livre de la nature » écrit par Dieu, image qui remonte au Moyen-Âge [18]. Elle devient au xviie siècle un élément du Déisme, pour qui Dieu se révèle dans ses œuvres, et non pas à travers l’Incarnation, la Parole, un ensemble de règles morales. Dieu est le « seigneur absent [19] », nous chargeant de comprendre, de contempler ou d’analyser la Création, avec laquelle il peut se confondre, selon la formule célèbre de Spinoza : « Dieu, autrement dit la Nature » (Deus, seu Natura [20]). À la fin du xviiie siècle, Friedrich Schleiermacher osera même cette remarque : « Dieu n’est pas tout dans la religion, mais l’un de ses éléments, et l’Univers est davantage que lui [21]». La thèse déiste sous-tend la fascination préromantique pour l’écriture chiffrée de l’univers – chez Kant, Novalis, Tieck, Wackenroder, Hoffmann [22] – mais surtout l’enquête scientifique : on comprend qu’elle peut fournir à Schaeffer, ingénieur polytechnicien et croyant, un cadre intellectuel où sa quête se logera parfaitement.

Schaeffer a souvent insisté sur l’influence déterminante de l’enseignement reçu à l’école St. Sigisbert-St. Léopold à Nancy, dont celui de l’abbé Molly, son professeur de physique et directeur de conscience. « Je n’appris […] pas la physique comme une science exacte, ni même une science naturelle. J’étais moi-même tout mêlé de physique, laquelle est toute mêlée d’humain, d’erreurs, on le sait bien, de tentatives, hasardeuses souvent, esquisses approchées, jamais définitives ». La lumière pouvait être « ceci ou cela comme on voulait, ou du moins que derrière le premier système d’explication, valable dans le cas général, se dissimulait un second système prenant appui sur des cas particuliers, mais qui risquait à son tour, devenu plus général encore, d’être remis en cause à un niveau plus fin [23] ». En 1969, cet enseignement est donc décrit a posteriori comme annonçant la future conception schaefférienne d’une recherche infinie, incluant des exercices, des hypothèses démenties, voire les « esquisses approchées » (Abschattungen) husserliennes.

À Polytechnique, Schaeffer et quelques camarades scouts fondèrent en 1931 le « Clan des Rois mages », dont l’aumônier sera l’abbé Joly, grand lettré qui recommanda aux étudiants nombre de lectures – Le Monde sans âme de Daniel Rops, la Note sur M. Bergson de Péguy et son Eve, « belle pièce pour nous autres les charnels », ou encore la Corbeille de fruits de Rabindranath Tagore [24]. Or, Eugène Joly avait découvert simultanément en 1930 l’action de Baden-Powell, fondateur du scoutisme, et la théologie de Pierre Teilhard de Chardin, et il fit faire la connaissance aux membres du clan en 1931 du « Milieu Divin […] qui, à cette époque circulait seulement en polycopié [25] ». En définissant une « puissance spirituelle de la Matière » Teilhard de Chardin disposait d’anciens motifs théologiques de façon à légitimer l’approche scientifique de l’univers. Pour lui, la matière est aussi bien ce qui enchaîne l’homme et « l’allégresse physique, le contact exaltant, l’effort viril, la joie de grandir. C’est ce qui attire, ce qui se renouvelle, ce qui unit, ce qui fleurit » ; elle est « la même réalité concrète, pour nous, que pour la Physique ou la Métaphysique, avec ses mêmes attributs fondamentaux de pluralité, de tangibilité et d’inter-liaison [26] ». Dans un article publié en 1939, Teilhard démontre qu’il faut sortir du repli du christianisme face à la science, car « depuis que l’homme est homme, l’arbre de la science a commencé à verdir dans le jardin de la terre ». Il faut pour cela imaginer qu’« un univers de structure évolutive – pourvu que soit bien placé le sens de son mouvement – pourrait bien être, après tout, le milieu le plus favorable aux développements d’une noble et homogène représentation de l’Incarnation. Le christianisme eût étouffé dans un évolutionnisme matérialiste […]. Quoi de mieux qu’une ascendante anthropogenèse pour servir d’arrière-plan et de base aux illuminations descendantes d’une Christogenèse ? […]. Une religion est l’âme biologiquement nécessaire à l’avenir de la science. Plus d’humanité concevable sans science. Mais plus de science possible sans quelque religion qui l’anime [27]».

La relativisation déiste du Logos se présente chez Teilhard comme une redéfinition d’ordre naturaliste de l’Incarnation : le Christ est certes « un seul événement [qui] se développe dans le Monde : l’Incarnation, réalisée en chaque individu par l’Eucharistie » ; mais surtout, « à chaque instant, le Christ Eucharistique contrôle, du point de vue de l’organisation du Plérôme […] tout le mouvement de l’Univers […]. La Transformation eucharistique déborde et complète la Transsubstantiation du pain de l’autel. De proche en proche, elle envahit irrésistiblement l’Univers. C’est le feu qui court sous la bruyère. C’est le choc qui fait vibrer le bonze ». Teilhard résume : « Le Christianisme, ce n’est pas exactement l’Apparition, mais la Transparence de Dieu dans l’Univers[28] ».

Enfin, toute activité peut s’inscrire dans une creatio continua qui n’est plus, dorénavant, l’œuvre de Dieu, mais celle de l’homme lui-même : « Tout effort coopère à achever le monde ‘in Christo Jesu’. […] Par sa fidélité il doit construire en commençant par la zone la plus naturelle de lui-même une œuvre, un opus où entre quelque chose de tous les éléments de la Terre. Il se fait son âme, tout le long de ses jours terrestres ; et, en même temps, il collabore à un autre opus, qui déborde infiniment, tout en les commandant étroitement, les perspectives de sa réussite individuelle : l’achèvement du monde[29] ». Rien de plus schaefférien que cette « divinisation des activités », cette redéfinition théologique de la recherche scientifique et de l’activité collective, où l’homme engagé contribue à pétrir « la grande Hostie universelle[30] ».

Cette pensée conjugue donc le motif déiste, l’accueil de la science et une valorisation de l’activité vue à travers l’élan de Bergson, influence majeure sur Teilhard. Eugène Joly la transmettra au jeune polytechnicien ; son traité Le Beau au risque de la foi (1937) porte d’ailleurs une épigraphe empruntée au Mystère des Rois Mages (1933) de Schaeffer (« Tous les matins, il faut de nouveau engager sa vie. Jouer sa vie. Risquer sa vie »). Joly ne pouvait certes citer directement Teilhard, interdit de publication par l’hiérarchie catholique depuis 1926, mais en abordant le rapport entre science et foi il remarque : « Si le transformisme était vrai, il nous semblerait que l’opération divine d’un Dieu ‘faisant se faire les choses’ serait plus belle encore que celle conçue par les fixistes », et il conclut, par référence également à Bergson : « Dieu est l’élan vital qui anime chaque être et le monde […]. Le monde lui-même n’est pas une pensée figée, ce n’est pas un livre écrit une fois pour toutes. Le monde est une pensée en acte, en se sens déjà que c’est ‘une machine qui tourne’, mais en ce sens aussi infiniment plus mystérieux et plus riche que c’est une machine qui évolue et se perfectionne [31] ».

En harmonie avec la description de Teilhard d’une « puissance spirituelle de la Matière » la musique se présente chez Schaeffer avec une double face. « Le mystère fondamental de la relation musicale est précisément qu’il y ait correspondance et qu’il n’y ait pas correspondance. Que le chiffre deux soit une octave et la fraction trois-demi, une quinte, l’établit parfaitement : à la fois par la clarté de la corrélation numérique et par l’obscurité d’une aussi radicale transformation : une octave, une quinte ne sont plus des nombres, mais des états d’âme […]. C’est là une des plus belles manifestations de l’unité du monde et de sa singularité et de la dualité parfaitement indiscernable du couple matière-esprit. Le travail expérimental, en musique, ne saurait donc se passer d’une attitude de départ que, faute de mieux, j’appellerai spirituelle, pour ne pas dire religieuse. […] L’expérimentateur en Art doit rester fidèle à quelque ordre mal connu, méconnu et le plus souvent nié par ceux-là même qui font partie de la même génération progressiste [32] ». Cette zone mal connue, celle des hypothèses toujours démenties qu’abordait le cours de physique de l’abbé Molly, représente ce reste auquel Schaeffer fait allusion très souvent et auquel il rattache, par une étymologie subjective, le mot de religio [33].

Cet arrière-plan informe également la réflexion sur l’écoute. Si Schaeffer se concentre sur la structure interne de l’objet et non sur la forme musicale, c’est que « la matière sonore possède en elle-même une fécondité inépuisable [34] ». Le son et le bruit apparaissent encore comme « hiéroglyphe[35] » et l’objet musical, « s’il a quelque chose à nous dire […], c’est à la façon des étoiles ou des atomes [36] ». Ainsi s’explique la vanité de la musique subjective, dont il a déjà été question : s’exprimer, c’est couvrir la voix de Dieu. « Il n’est pas non plus tellement question de nous exprimer devant un auditoire, mais de l’inciter à considérer l’objet. C’est peut-être l’objet qui a quelque chose à nous dire [37] ». C’est pour cela encore que la musique de Schaeffer lui-même est une musique d’où l’homme est presque absent, et où l’on ne fait « qu’appeler les sons à l’existence [38] ». À la fin des fins, le Son, fondé en Dieu, a préséance sur l’œuvre, présomption de l’homme.

Un autre indice de la continuité des motifs théologiques dans la pensée de Schaeffer nous est fourni par un brouillon daté de 1969. En bas de la feuille, quatre phrases disposées en croix – comme les quatre écoutes dans le Traité – suggèrent une équivalence avec quatre attitudes face à Dieu : « Je Te comprends » (équivalent de l’écoute 1, compréhension d’indices) ; « Je te prends » (l’accueil passif de l’ouïr) ; « Je tends vers toi » (l’activité sélective de l’entendre comme aperception). Or, la quatrième écoute, définie dans le Traité comme « compréhension », redevient ici un simple « Je T’entends ». Dieu demeure incompréhensible – en lieu et place, l’homme rencontre le Son.

3.

Reprenons ces attitudes à partir d’un autre découpage théorique, d’une typologie plus transversale, peut-être plus schématique, articulant des éléments que l’on rencontre dans un nombre important de religions : les dogmes, les rites et un supplément que nous appellerons l’élément mystérique. Tous permettent de se situer face aux dieux, à Dieu, au Sacré, donc d’entrer en contact, de négocier, de s’ouvrir à l’élément divin ou d’organiser la simulation d’une telle prise de contact. Par ailleurs, la pratique rituelle et le discours dogmatique peuvent revêtir tous deux un aspect contraignant ou doux : il peut exister dans tout rite un élément terrifiant, opaque, incompréhensible, auquel on se plie malgré soi, et des moments où la présence des autres participants aide au face-à-face ; de même, il y a dans le corpus discursif une part qui enjoint à faire telle ou telle chose, sous forme d’ordres, de dogmes et de lois, et une part avenante, qui cherchera l’explication et l’exégèse compréhensible, en recourant aux images, aux histoires fabuleuses, aux paraboles.

Ces deux polarités – la pratique rituelle et le discours explicatif, la part contraignante qui repousse et celle qui se rapproche du sujet avec plus de douceur – ne décrivent certes pas toute la diversité des religions, mais on peut poser qu’elles saisissent à la manière d’un idéal-type des aspects qui caractérisent un grand nombre d’entre elles, à travers une articulation ou « registration » toujours différente. Ainsi, une religion pourra mettre l’accent sur la part rituelle ou bien la part discursive ; la religion romaine par exemple était caractérisée par une relative dissociation du divin et d’une morale contraignante (plutôt prise en charge par les philosophes, si bien que le Stoïcisme par exemple aura des allures de religion) ; elle se nourrissait en premier lieu l’aspect ritualiste [39]. Au sein d’une même religion, la part discursive peut être poussée dans des directions différentes : pour un chrétien, l’Apocalypse de Jean sera liée à l’Imaginaire, les Épîtres de Paul à la Loi.

Quant à l’élément « mystérique » (liée à une collectivité) et/ou mystique (lié à une expérience solitaire), toutes deux jusqu’à un certain degré para-dogmatiques, désignons-le, pour conserver cette ambivalence, par l’abréviation m. Il se présente comme un supplément aux rites et aux dogmes, visant essentiellement à forcer une présence directe, tangible, frappante et toujours intermittente du divin [40]. Il passera par un dérèglement ou une sur-accentuation soit des rites, soit des discours. Ainsi, les mystères d’Isis complémentaient par des lacérations ou mutilations les rites officiels banalisés, et cela afin d’attirer le regard de la déesse (elle-même ajoutée au Panthéon romain). L’élément m est toujours pour partie intégré dans les rites, mais il peut aussi s’en échapper, s’autonomiser. À Éleusis, dans la Grèce antique, les « grands mystères », à l’automne, commençaient par un bain de mer purificateur, le sacrifice d’un porcelet, deux jours de jeûne, puis une procession des mystes qui parcouraient la voie sacrée menant d’Athènes à Éleusis. Un rituel nocturne thématisait la naissance de la lumière : on allumait un feu dans un espace où pénétrait uniquement l’hiérophante, que l’on apercevait de loin ; un gong accompagnait l’invocation de Perséphone, une gerbe de blé coupée était montrée en pleine lumière pour signifier la naissance d’un fils [41]. Il s’agissait là d’objets sacrés (les deiknoumena [42]) ou de paroles sacrées (legonoumena), parfois incompréhensibles – la parole se fait objet, l’objet condense une parole opaque.

Afin de rechercher une autre présence il faudra parfois s’écarter des formes que la religion officielle et la « cité » proposent, et cet écart se cristallise éventuellement en un rite parallèle ou contre-rite. Ressortit à l’élément m ce qui est de l’ordre d’une torsion de formes et de pratiques existantes, afin d’obtenir une présence directe et intense, « mystérisation » qui peut impliquer toute une dramaturgie. L’obscurité y joue un rôle important, l’utilisation de dispositifs spectaculaires et d’artifices, de mécanismes éclairant de l’intérieur les statues, d’effets de lumière arrivant par une faille dans le mur ou par deux dalles entrebâillées, comme dans le culte de Mithra ; des voiles ou des rideaux peuvent dramatiser l’ineffable, de faux prophètes arranger des oracles « autophones » qui sortent d’une tête de serpent relié par un tuyau à un assistant caché afin de terrifier les auditeurs par un effet pré-radiophonique [43] .

Le dispositif consistant à voiler la source sonore peut se réclamer de la figure prestigieuse de Pythagore, révéré à l’égal d’un demi-dieu et dont la transmission de l’enseignement était elle-même ritualisée. On accédait à la « communauté de ceux qui écoutent [44]» par l’épreuve d’une soustraction du visuel : « Quand on avait trouvé que les adeptes, de par la conduite de leur vie et leur bonne nature en général, selon le jugement du maître, étaient dignes de recevoir les enseignements, ils devenaient après le silence de cinq ans des ‘ésotériques’ : ils écoutaient Pythagore à l’intérieur des rideaux (sindónos) et ils avaient la permission de le voir ; auparavant ils avaient participé seulement par l’écoute à ses conférences, sans jamais apercevoir son visage [45].» C’est donc ici la première figure de cette écoute acousmatique à laquelle Schaeffer se référera pour décrire une présence nouvelle des objets, produit du média et de l’écoute réduite.

À ces différents aspects peuvent correspondre alors trois types d’écoute, eux-mêmes transposables à l’écoute musicale : une écoute structurale, celle d’une Loi pour partie cachée, difficile et contraignante, où l’écoute est obédience ; une écoute du Logos, écoute herméneutique, qui cerne des figures, des mélodies qui parlent directement à l’auditeur, des symboles musicaux et des images ; une écoute mystérique enfin, à l’affût de sonorités, d’épiphanies, de timbres purs, d’objets parfaits, de « beaux passages », de suppléments aux structures et aux images, ressenties comme insuffisantes et insatisfaisantes. L’écoute mystérieuse relève de la modalité de l’affût. Pour le dire avec les mots de Schaeffer, elle veut « découvrir un œil sonore dans l’oreille [46] », c’est-à-dire rendre l’ouïe aussi performante que la vue ; elle se veut intense, aiguisée, recherchant un sens, une perfection, une puissance cachée. La perception mystérique est toujours tactile ; elle veut toucher directement.

4.

Certains textes de Pierre Schaeffer, lus à travers cette grille théorique, peuvent se disposer autour de ces axes. Tout le parcours intellectuel et institutionnel est chez lui récusation de la Loi, révolte contre l’autorité au sein même de la sphère de cette autorité, sous le regard du « Seigneur absent », afin de dégager, par ruse ou contournement de la contrainte, un espace de création et/ou de pouvoir propre [47]. De même, Schaeffer cherche une foi sans dogmes imposés – que l’Église nous laisse tranquille, dira-t-il en 1987 [48] – et il veut aussi contourner tout ce qui, en musique, a trait au travail structurel : une certaine suspicion est même jetée sur la notion d’ « œuvre », et l’étude des structures musicales (niveau supérieur de celui des objets) toujours remise à plus tard après la publication du Traité en 1966. Quant à la parole exégétique, le commentaire, il faut le tenir en échec par la formule mathématique. L’analyse philosophique est souvent dévalorisée, et parfois avec violence, comme en témoigne une diatribe contre les intellectuels, lue par Schaeffer au congrès de la revue Esprit en 1946 : les philosophes ne savent que se commenter les uns les autres, au lieu d’aller vers le réel qui se saisit à travers l’information pure [49].

Ce qui remplace ces deux aspects (la loi et l’exégèse) est le dispositif du groupe situé à l’écart, occupé à saisir et à décrire des objets nouveaux. Ce groupe invente par là une liturgie nouvelle. La liturgie scoute – avec ses rites précis, ses lectures, ses chants, ses camps organisés comme un para-théâtre – en est l’exemple fondateur : « […] Notre jeunesse n’était plus vouée au culte des morts, aux sacrifices sanglants, à la dévotion qu’exigeait un Dieu rigoureux, ici-bas en tout cas. Dans cette réconciliation avec le monde, il y avait des flammes un peu païennes, [un] côté solstice, ou du moins un renouveau chrétien, des retrouvailles. Dans nos célébrations, l’eau reprenait son symbolisme, la lumière son rayonnement, l’esprit ses langues. L’initiateur de ses ‘retours en chrétienté’ était un jésuite hors série, le père Doncœur [50]». Ancien aumônier militaire pendant la guerre, Paul Doncœur incarne aux yeux du jeune Schaeffer l’activité et l’exercice ; il n’est ni du côté de la Loi (du « Dieu rigoureux »), ni de la Parole. Doncœur est ainsi évoqué dans le roman Les Enfants de cœur (1949) : « En fait, Simon avait renoncé à poser des questions au Père ; il avait admis que le Père n’était pas fait pour lui répondre, mais pour diriger son entraînement : bander des muscles profonds, affermir l’attaque et la défense, combattre aussi bien la raideur que le relâchement. Ce n’est pas difficile d’être chrétien, il suffit de consentir ; seulement c’est un consentement de chaque instant ». Doncœur est le maître de nouvelles liturgies para-théâtrales [51] qui prennent le relais de la liturgie catholique, « cheval de bataille de quelques chanoines maniaques[52] ». Le scoutisme, de façon générale, crée des rites purs : « Les scouts avaient réhabilité la liturgie : c’étaient les montagnes qui nous servaient de sacristie et nos chanoines avaient trente ans [53] ».

Ainsi, l’idée de la nature sous-tend aussi bien l’attraction déiste, la fusion vitaliste, l’exercice qui remplace le dogme, l’observation précise balayant la parole vaine. Elle permet la construction d’une foi non dogmatique qui pourra verser dans une sorte d’agnosticisme religieux, où Dieu est plus proche du « premier moteur » d’Aristote que d’une icône terrible. Toute la place est prise par une liturgie nouvelle, rassemblant autour d’un maître un groupe qui s’exerce sur des objets nouveaux, expérience qui aura toujours une connotation sacrée. Évoquant l’abandon de la langue latine dans la liturgie après Vatican II, Schaeffer indique : « Lorsque j’en fus, au milieu de mon expérience, à écouter un son […] et que je constatai, avec bien d’autres, qu’il se passait alors entre les sons et nous un échange quelque peu spirituel, j’en vins à me rapprocher de ces expériences » – à savoir celles « de la liturgie gardienne su symbole [54] ».

L’attention se déporte alors vers des maîtres spirituels situés à l’écart. Se détournant de la sévérité jésuite et de la rhétorique des prédicateurs, le tout jeune Schaeffer se sentait attiré par les mystiques : « Nous avions fort bien démêlé, dès Nancy, sous quelques adhérences bien pensantes, la radicale subversion des contestataires spirituels. Nous laissions volontiers à nos prédicateurs la grosse artillerie des fins dernières, les effets de manche de St. Dominique et le baudrier de Loyola […]. Nous préférions des initiations plus subtiles, et quant à moi, déjà, je préférais l’enseignement de femmes, par exemple les deux Thérèse, la normande et l’espagnole, qui m’apprenaient le grand écart, du chichi quotidien à l’extase : tout le parcours, cette fois ineffable, des deux infinis qui en valent bien d’autres [55] ». Les poètes, dira Schaeffer, ont pu prendre la place des Pères d’église, comme cela s’était passé, pour sa génération, avec Claudel et surtout Péguy, anti-clérical et penseur non orthodoxe comme Teilhard [56].

Pour Schaeffer, la figure du mystique est liée à un travail, à l’exercice muet, une sorte de gymnastique spirituelle évoquée à propos de l’influence qu’eût sur l’adolescent la figure de Thérèse de l’Enfant Jésus : « Je commençais à comprendre quel artifice c’était de vivre, de croire, de prier, de dominer cette Nature sur laquelle l’Imitation – autre petit livre empoisonné – tirait de doucereuses salves inexorables. J’installai alors ma vie, non pas au Carmel, mais dans une redoute flanquée de satoris divers, de fortifications vaubanesques, de levers impérieux, de prières autoritaires, de rappels formels au sérieux [57]».

Rencontré vers 1942, Georges Ivanovitch Gurdjieff incarna pour Schaeffer un de ces « francs-tireurs de la spiritualité », tel « saint Jean de la Croix, dont je sais aujourd’hui m’approcher grâce à l’enseignement de Gurdjieff[58]». Celui-ci s’appuie à nouveau sur une gymnastique, des « gestes très simples, alors que les pratiques religieuses sont généralement alourdies de complications cléricales et théologiques[59] ». Proposant ce que Schaeffer nommera un « solfège des corps », la méthode de Gurdjieff convient en outre à son aversion pour les palabres théoriques : « Une doctrine ? Moins encore. Pas de langage. Dans cette assemblée […] combien seraient tentés sinon de faire des phrases, du moins entrer dans des explications. L’ascèse la plus subtile celle du langage, suprême duperie, les attend. Quelqu’un s’énerve et en demande davantage, il se faire dire : ‘Vous êtes merde’ […]. Vous pas comprendre, vous idiote complète. Vous merde de merde [60] ». Il est urgent d’écraser en l’homme l’auto-complaisance, la suffisance et la paresse. La figure de Gurdjieff peut alors évoquer la « divinisation » de Teilhard : « Le Mystère de l’Incarnation n’est pas à sens unique. Il requiert, de la part de l’homme, un travail de divinisation. Qu’est-ce qu’une divinisation sinon, de la part de la créature, un effort démesuré (surhumain, surnaturel) pour s’associer au processus de la création ? Il lui faut retirer le plus du moins, subir les affres de cet enfantement contre-nature. Vous êtes tous des Dieux, disait le mauvais Ange qui en savait long, qui disait sûrement vrai, sûrement trop tôt [61]».

Dirigeant charismatique du Service de la Recherche, Schaeffer se souviendra des techniques de mortification de Gurdjieff pour tenter d’éveiller en chacun des capacités non développées, en imposant des travaux utiles à la communauté (administratifs par exemple), complétant la création d’œuvres subjectives. L’écoute des sons, réalisée en commun, exige une autre discipline : « Quelle application il y faut, quels exercices répétés, quelle patience et quelle nouvelle rigueur ! [62] » En 1969, dans un cours donné au Conservatoire, l’exercice d’écoute est encore décrit ainsi : « C’est un travail qui est fait de l’homme sur lui-même, c’est un travail qui ressemble à un travail de contemplation, à un exercice physique. Ca tient de l’exercice physique, ça tient de l’éducation de l’oreille et ça va jusqu’à une éducation spirituelle qui consiste à s’aiguiser le sens, à s’aiguiser l’attention, à soutenir l’attention, à se rappeler, à analyser, à affiner son sens [63] ».

L’objet de l’écoute apparaît ainsi – structurellement pour ainsi dire, par position et non par nature, comme disent les linguistes à propos de certaines voyelles latines – comme un objet digne d’une attention religieuse : il est le supplément, le reste que doit happer la tactilité mystique, il est infinitisé. Schaeffer ira jusqu’à comparer la réception du son  à celle de l’eucharistie : « Un enfant communie. Il se recueille, fait silence, attend que quelque chose vienne de lui ou de son Visiteur, qui ne soit ni ordinaire ni excessif, qui augmente le sentiment réciproque de la présence, de moi à Lui et de Lui à moi. Dépouillée de mots, le plus souvent, l’adoration, avant d’être intention, est attention, mobilisation de la conscience. […] Un auditeur écoute un son (et non pas un discours à dormir debout, ni de musique à faire rêver, danser, pleurer ou rire). On propose à son écoute ce morceau de son qu’on lui répète, auquel il s’applique comme il fixerait une lumière, un bouton de porte, ou la ligne de l’horizon […]. Je ne veux pas affirmer que tout soit semblable, que tout soit équivalent. Mais on sera, je l’espère, bien obligé de découvrir avec moi […] ce phénomène fondamental, cette communication de l’objet au sujet, implicite, innommée… [64]».

On peut lire cette capture de l’objet m sous plusieurs éclairages : illumination mystique, recherche scientifique ou exercice pythagoricien d’une « communauté de ceux qui écoutent [65]». À l’affût du « caractère dominant » qui permettra de classer un objet et qui incarne cette « touche » dont parle saint Jean de la Croix [66], se forme et se prépare, sur l’avers de l’effort technique, une mystique qui ne fonde plus l’œuvre dans la structure mais dans le sensible déconnecté. L’objet sonore est institué comme deiknoumenon et son écoute fétichisée. Et il semble bien que cette mystique (avec son corollaire scientifique) contribue à ce mouvement général qui, depuis les années 1970, a progressivement placé la justification du travail compositionnel non plus dans une métaphysique de la musique (supportant le dogme de la structure) mais dans une phénoménologie du sonore. L’écoute peut alors ne plus relever d’une compréhension analytique, mais de cette saisie d’un supplément qui happe le corps et relève d’une gustation plutôt que de la réflexion : le Son se donne sous l’espèce de « petites bouchées de contemplation obscure », comme dit encore saint Jean de la Croix [67]. Ce mouvement général quitte les formes au profit des états, il exige une esthétique qui se résorbe dans une esthésique, et s’accompagne d’un body turn au sein du musical [68], valorisant le geste, l’état, l’atmosphère, le dispositif sonore ou l’intensité.

À notre époque, le bâti mystique s’étaye d’habitude sur Deleuze – autre philosophe de la Vie, de la Nature. Chez un poète contemporain, pas plus philosophe que Schaeffer n’était théologien, on lit par exemple : « Le temps de ce passage, la ritournelle territorialise la langue sur la musique […]. La musique non pas comme art musical mais la musique comme force vive qui se déploie conformément à une physique des sons. Cette physique des sons n’ouvre pas tant sur un espace sonore mais sur un espace que j’appellerai ‘sonique’. Alors que l’espace sonore nous rend dépendant d’une audibilité spontanée et nous contraint à adhérer à ce qui est auditionné, comme nous collons par la vue aux objets regardés, l’espace sonique nous fait entendre l’inouï par : 1. Des fréquences (qui parasitent la communication par les sentiments en ayant recours aux affects) ; et 2. Des résonances (qui convertissent le sujet pensant et agissant en sujet moléculaire [69] ».

C’est ce passage que l’épisode schaefférien avait préparé : celui de l’obédience à la structure musicale vers l’infinitisation du son comme un reste religieux.

[1] Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, Paris, Seuil, 1966 (cité dorénavant sous l’abréviation TOM), p. 113, p. 104, p. 106. – Je reprends ici quelques éléments figurant dans l’ouvrage collectif Pierre Schaeffer. Les constructions impatientes, Martin Kaltenecker et Karine le Bail (éds.), Paris, IMEC/Editions du CNRS, 2010.

[2]TOM, p. 104.

[3]TOM, p. 104 et p. 113.

[4] Cours au Conservatoire de Paris, 22 janvier 1969.

[5]Pierre Schaeffer, Machines à communiquer 1, Genèse des simulacres Paris, Seuil, 1970, p. 106.

[6]Pierre Schaeffer, De l’expérience musicale à l’expérience humaine, Paris, Richard Masse, 1971, p. 42.

[7]TOM, p. 26.

[8] Valéry, cité dans Machines à communiquer 1, p. 106.

[9]Ibid., p. 20 et p. 29.

[10]TOM, p. 262, p. 263 et p. 267-268.

[11]TOM, p. 293. Cette remarque limite la portée des critiques adressées à la théorie de Schaeffer afin de défendre une écoute « écologique » du son, lequel ne serait pas arraché à son contexte, par exemple chez William Luke Windsor, A Perceptual Approach to the Description and Analysis of Acousmatic Music, Thèse de doctorat, Université de Sheffield, 1995. Voir aussi Karl Traugott Goldbach, « Akusmatisches und ökologisches Hören in Luc Ferraris Presque rien avec filles », Zeitschrift der Gesellschaft für Musiktheorie, III/1 (2006).

[12] Pierre Schaeffer, Essai sur la radio et le cinéma, Paris, Allia, 2010, p. 49.

[13]TOM, p. 662.

[14] Pierre Schaeffer, À la Recherche d’une musique concrète, Paris, Seuil, 1952, p. 165.

[15] Voir ces remarques sur le retour du père, revenant du front en 1918 : « Le héros lointain, on vénère : sa sombre mèche, sa geste. Le père présent est encombrant : il lui faut faire place dans une vie austère, mais douillette aussi, partagée en toute intimité avec une mère attentive qui chante Chabrier juste avant la prière » (Sophie Brunet, Pierre Schaeffer, suivi de Réflexions de Pierre Schaeffer, Paris, Richard Masse, 1969, p. 113).

[16] Pierre Schaeffer, « Des ondes ou des chansons », La Revue des jeunes, 25, 6 (1934), p. 862.

[17] À la Recherche d’une musique concrète, p. 128.

[18] Voir Ernst Robert Curtius, La littérature européenne et le Moyen Age latin, Paris, PUF, 1956, chap. 16, § 7.

[19] Steve Shapin, The Scientific Revolution, Chicago/London, The University of Chicago Press, 1998, p. 149.

[20] Spinoza, Ethique, IV, préface (tr. fr. Bernard Pautrat, Paris, Seuil, 1999, p. 337).

[21] Friedrich Schleiermacher, De la religion, tr. B. Reymond Paris : Van Dieren Editeur, 2004, p. 67 et p. 73.

[22] Kant, Critique du jugement, B 179 ; Novalis, Les Apprentis de Saïs, chap. 1 ;  Hoffmann, Kreisleriana, chap. 7.

[23] Pierre Schaeffer, par Sophie Brunet, p.136.

[24] Correspondance Eugène Joly/Pierre Schaeffer, Archives P. Schaeffer/IMEC, 262/1732. Dans le roman autobiographique Les Enfants de cœur (Paris, Seuil, 1949, p. 130), ces apports inattendus à l’univers scout sont qualifiés de « greffes », exactement comme l’introduction, par Simon, le protagoniste, d’éléments pris aux éclaireurs protestants ou aux Equipes sociales de Robert Garric. Ce que j’ai nommé plus haut le « bâti » est toujours fait en partie de telles greffes.

[25] Souvenirs d’Emile Torquebiau, membre du Clan des Rois Mages, dans Hommage au Père Eugène Joly, p. 17, tiré à part conservé dans la bibliothèque d’études de Pierre Schaeffer à l’IMEC.

[26] Le Milieu divin, Paris, Seuil, 1993, p. 111 et p. 124.

[27] « Mystique de la Science », Etapes, 20 mars 1939, repris dans L’Energie humaine, Paris, Seuil, 2002, p. 218, 232, 234 et p. 236.

[28] Le Milieu divin, p.138s, p. 141 et p. 149.

[29] Le Milieu divin, p. 34 et p. 39s.

[30] Ibid., p. 21 et p. 49.

[31] Le Beau au risque de la foi, Paris, Bloud & Gay, 1937, p. 60s et 171s. – Le Transformisme, élaboré par Lamarck (1744-1829), considère que les espèces évoluent par complexification et influence du milieu.

[32] Pierre Schaeffer, La Musique expérimentale comme exercice spirituel (1959), dactylographie, Archives P. Schaeffer/IMEC, 13/77.

[33] De l’expérience musicale à l’expérience humaine, p. 34.

[34] À la Recherche d’une musique concrète, p. 23.

[35] Ibid., p. 101.

[36] Ibid., 167.

[37] Ibid., p. 72.

[38] Préface à deux concerts de musique concrète donnés les 21 et 25 mai 1952, à Paris, salle de l’ancien Conservatoire.

[39] Sur le rapport disjoint entre religion et morale, voir par exemple Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, Quadrige, 2005, p. 217, et, pour l’antiquité, Paul Veyne, L’Empire gréco-romain, Paris, Seuil, 2005 (p. 420, p. 455, p. 475 et les citations de John Scheid, p. 425, p. 440 et p. 503).

[40] Le mysticisme est défini par exemple dans le Macmillan Dictionary of Religion (Michael Pye, ed., Londres, 1994) comme « a heightened form of religious experience in which the subject feels the immediate presence of God or some ultimate reality resulting in an expansion of consciousness and a feeling of transcending the ordinary world ».

[41] Au sujet des mystères d’Eleusis, voir Franz Cumont, Lux perpetua, Paris : Librairie orientaliste Paul Guthner, 1949, p. 239-243 ; Martin Persson Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, München : Beck, 1961, I, p. 469-477 et p. 653-667 ; Hans Kloft, Mysterienkulte der Antike, München, Beck, 2006, chap. II. L’étymologie du mot « mystère » est probablement liée à muéo « être initié » ; une  déduction tardive le relie à muo « fermer les yeux ou les oreilles ».

[42] Sur les objets sacrés, voir Veyne, L’Empire gréco-romain, p. 67.

[43] Lucien, Alexandre ou le faux prophète, 26, tr. P. E. Dauzat, Paris : Belles Lettres, 2001, p. 35.

[44] Je traduis d’après Jamblichos, Pythagoras, tr. all. M. v. Albrecht, Zurich/Stuttgart, Artemis, 1963, XVII, 73.

[45] Jamblichos, Pythagoras, XVII, 72.

[46] À la Recherche d’une musique concrète, p. 194.

[47] Toutes les institutions créées par Schaeffer ont ce caractère d’ilot au sein d’une institution plus grande, celui d’un off dans le in : l’association de politique culturelle Jeune France (1940-42), le Studio d’essai (à partir de 1942), la Sorafom (Société de radiodiffusion de la France d’Outremer, 1954-62) puis le Service de la Recherche (1960-1975). Voir Sylvie Dallet et Sophie Brunet, Pierre Schaeffer. Itinéraires d’un chercheur, Editions du Centre d’Etudes et de Recherche Pierre Schaeffer, s. d. [1996].

[48] Tour à tour, émission de télévision de l’Université de Montréal de Maryvonne Kendergi (1985), 2ème volet.

[49] Pierre Schaeffer « Contribution à la présence d’Esprit », Esprit n° 126, octobre 1946.

[50] Pierre Schaeffer, Les Antennes de Jéricho, Paris, Stock, 1978, p. 151.

[51] Schaeffer évoque dans Enfants de cœur une « restitution liturgique » de la Passion selon saint Jean, avec douze garçons revêtus d’aubes. « Seule la psalmodie en dessinait l’architecture que les temps de silence équilibraient. Psalmodie aux inflexions mesurées, simplicité savante. Point d’accessoires. Les cierges seulement retenaient l’œil, leur flamme fixe expliquant que toute consomption est intérieure ; que le cœur seul a quelque pouvoir, aidé de l’imagination, quand il faut approche les choses en vérité ». (p. 267).

[52] Sophie Brunet, Pierre Schaeffer, p. 146.

[53] Les Enfants de cœur, p. 27.

[54] Pierre Schaeffer, De l’Expérience musicale à l’expérience humaine,  La Revue musicale, n° 274-275 (1971), p. 144.

[55] « L’Esprit de contradiction », dactylographie, Archives P. Schaeffer/IMEC, 40/194, p. 11 (souligné par moi).

[56] Le vitalisme bergsonien représente ici un autre élément commun : l’influence de Bergson sur Péguy et même sur Jacques Maritain fut prépondérante, avant que ce dernier ne se plie au thomisme officiel, Léon XIII ayant désigné dans l’encyclique Aeterni Patris (1879) saint Thomas comme arme intellectuelle à utiliser contre les ennemis de l’Église. La vision évolutionniste de Teilhard devait tout à sa lecture, en 1908, de L’Évolution créatrice de Bergson. Voir à ce sujet Hervé Serry, Naissance de l’Intellectuel catholique, Paris La Découverte, 2004, p. 75-82 et les éléments réunis dans Damien Le Gay «Péguy et Maritain : le conflit de deux observances chrétiennes », Résurrection, n° 71 (en ligne : N° 71 : L’amour de l’observance). Pour Maritain, Teilhard restera logiquement un « fabuliste fabricant de la fausse monnaie » (cité par Louis V. M. Fontaine, La Mémoire du Scoutisme. Dictionnaire des hommes, des thèmes et des idées, Paris, Publications L.F., 1999, p. 224).

[57] Pierre Schaeffer, par Sophie Brunet, p. 119.

[58] Pierre Schaeffer, « Lettre à François Mauriac », La Table Ronde n° 31, juillet 1950, p. 182.

[59] Pierre Schaeffer, « Un consolateur assez sévère », dans Georges Ivanovitch Gurdjieff, Lausanne, L’Âge d’homme, 1992, p. 72.

[60] Ibid., p. 565.

[61] « Gurdjieff », dans Louis Pauwels, Monsieur Gurdjieff, Paris, Le Livre de Poche, 1972, p. 569.

[62] TOM, p. 271.

[63] Cours au Conservatoire de Paris, 22 janvier 1969.

[64] « L’Esprit de contradiction », dans Sophie Brunet, Pierre Schaeffer, p. 211s.

[65] Jamblichos, Pythagoras, XVII, 73.

[66] La Nuit obscure, tr. G. de Saint Joseph, Paris, Seuil, 1984, p. 50.

[67] Ibid., p. 96. « La perception de l’omniprésence divine est essentiellement une vue, un goût » dit aussi Teilhard (Le Milieu divin, p. 150).

[68] Pour cet aspect voir par exemple Robert Gugutzer, « Der Body Turn in der Soziologie. Eine programmatische Einführung », dans Perspektiven der Soziologie des Körpers und der Seele, R. Gugutzer (éd.), Bielefeld, Transcript, 2006.

[69] Christophe Fiat, La Ritournelle. Une anti-théorie, Léo Scheer, 2002, p. 70s.